Le bouddhisme indo-tibétain en France

La présentation du bouddhisme indo-tibétain que nous souhaitons réaliser dans le cadre de cet article est un condensé de notre thèse de doctorat en géographie. C’est la première du genre. Elle a de plus la particularité d’être le fruit d’un parcours de vie, d’un cheminement de la pensée qui nous a conduit d’une formation initiale de biologiste, spécialisée en environnement, à une ouverture vers les sciences humaines ; celles-ci incluants les pôles politique, économique et social qui sont les fondements de nos sociétés « civilisées ».

La « religion », dimension humaine à part entière, souvent incluse dans ce que l’on nomme de nos jours « la culture » est qualifiée, dans la majorité des cas, d’idéologie, « d’opium du peuple ». Fréquemment, ses aspects dits irrationnels, trop communément décriés comme magiques sont soit mis en exergue, soit occultés. Hors, j’ai eu l’immense privilège de rencontrer tant au sein du bouddhisme que du catholicisme ou de nos religions populaires, qu’au coeur de certaines ethnies africaines, des pratiquants, porteurs ou vecteurs de spiritualité, qui sortaient des chemins balisés par les églises et cautionnés par les pouvoirs en place. Là, j’ai eu besoin de comprendre, sans verser ni dans le « magico-religieux », ni dans le « politiquement correct ». Socrate aurait-il donné foi aux paroles de l’Oracle de Delphes si elle avait réellement été la femme hystérique et droguée décrite tant par les textes romains que chrétiens ? A l’aube de notre XXIe siècle, pourrions-nous comprendre l’enthousiasme (grec : avoir dieu en soi) de la Pythie et l’attrait de nos semblables pour la pratique spirituelle, en nous référant à des scientifiques tels Ilya Prigogine, Francisco Varela, Antonio Damasio, David Bohm ou Albert Einstein ?

Sans expliquer une spiritualité dans son ensemble, ils nous permettent de ne pas tomber dans un total nihilisme qui ne reflèterait en aucune façon la réalité de nos terrains de recherche. Ces derniers doivent intégrer, pour être cohérents, l’inscription corporelle de l’esprit. Ma contribution à la compréhension du développement du bouddhisme indo-tibétain en France se veut avant toutes choses, une approche scientifique mais surtout pas scientiste. La spiritualité se doit de demeurer dans le domaine de l’incomplétude (Gödel, 1931

Nous pouvons observer que depuis le début du Néolithique, à mesure des « progrès » humains, la population a considérablement augmenté sur la planète, jusqu’à prendre une allure exponentielle à partir des révolutions industrielles, il y a près de trois cents ans. En parallèle, plus les sociétés « se développent », plus la baisse des pratiques religieuses est enregistrée. Paradoxalement, nous observons que les êtres humains affichent une quête spirituelle, qui semblerait devoir combler un grand vide au cœur de nos sociétés post-modernes et sur-industrialisées, décrites par Jacques Ellul comme le monde du dérisoire et de l’enflure. Cette quête se traduit dans notre société-monde actuelle par l’augmentation du chiffre d’affaire des sectes, l’augmentation des intégrismes et les conversions tous azimuts à des ritualités parallèles ou déviées de leur sens – les télévangélistes, ayant fortement contribué à l’élection de G. Bush aux USA, en sont un criant exemple. Les individus expérimentent alors des religions « hors pistes » et se construisent une spiritualité qui leur est propre, tout au fil de leur vie. Pourquoi ? Que pourrait signifier cette démarche observée par de nombreux auteurs depuis déjà plusieurs décennies ? Est-ce réductible à une quête de sens ou le phénomène est-il plus profond ?

Le genre humain, depuis les 5000 dernières années, n’est pas parvenu, une seule fois, à posséder des connaissances définitives et une technologie durable. Des reculs importants se sont produits au cœur de nombreuses civilisations (Harran en Syrie, Tassili dans le désert nord africain,  Harappa  aux confins de l’Indus) suite aux invasions de peuplades guerrières venues du Nord et de l’Est. Depuis la décadence de l’Empire Romain, les spiritualités ont été sur-instrumentalisées[1], notamment à partir du règne de l’Empereur Constantin qui assembla en 325, le concile de Nicée où fut fixé le dogme officiel : Trinité-Incarnation-Rédemption. La sédentarisation des populations impliquait l’accroissement des individus qu’il fallait gouverner. Le pouvoir romain a très vite compris avec la naissance dans le peuple des premières églises (Ecclésia : lieu de réunion) souvent dans des villas romaines, que Spiritualité rimait avec solidarité et solidarité rimait avec docilité (Debray, 1991).

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Figure 1 : compression spatio-temporelle accentuée depuis 300 ans

Si la mort de Socrate a marqué la fin de la démocratie, la romanisation du christianisme a marqué le plus grand schisme de cette spiritualité. Pourquoi alors, les individus continuent-ils à pratiquer ?

Nous tracerons ici les profils de ces derniers, leurs motivations et leurs engagements au niveau du bouddhisme indo-tibétain : ils sont quasi-identiques à ceux des adeptes s’affirmant sans religion. D’autre part, nous examinerons les risques de dérives qu’encourre cette spiritualité, inscrite officiellement depuis une trentaine d’années sur notre territoire. Si l’on s’arrête à la lettre, nous pouvons lire que le bouddhisme est « une philosophie de vie ». Nous ne pouvons cautionner une telle logique simplificatrice. Il en est de même lorsque nous entendons parler de religion, sachant que les religions ont toujours été créées par des laïcs, dans des buts plus ou moins avouables. En effet, en se dissociant stratégiquement du politique, les religions maintenues par les pouvoirs en place, deviennent des valeurs refuges (Sarkozy, 2004) fortement identitaires, réactivables rapidement dans un contexte de crise. Seraient-elles le plus sûr moyen d’apprivoiser les foules ? Avant de répondre, posons ici une question fondamentale qui, en règle générale, est occultée par de nombreux chercheurs en sciences humaines

La spiritualité, serait-elle inscrite dans nos gènes ?

Lors de l’évolution biologique les informations contenant la vie sont codées dans nos ADN dont la complexité évolue de plus en plus rapidement. Ils nous servent en quelque sorte d’antennes. Depuis l’invention de l’écriture, les informations ne sont plus systématiquement codées biologiquement : de nos jours, elles se renouvellent 100 000 fois plus vite que les informations biologiques. C’est grâce, ou à cause de cette transmission de données externes, non biologiques, que les êtres humains ont fini par dominer le monde et que la population mondiale s’accroît désormais à un rythme exponentiel. Ensuite, selon l’hypothèse du physicien Stephen Hawking, la génétique pourra transformer la donne et les humains en mutants, activables entre autre par des implants neuraux, dans un monde basé sur le développement économique.

Si l’inscription de la spiritualité est ancrée au cœur de nos gènes, encore faut-il y avoir accès. Pour réactiver ces contacts, les transmissions sont essentielles. De nos jours, elles sont soit dissoutes dans la masse des sectes, soit prisonnières de systèmes religieux inféodés pour beaucoup aux pouvoirs « technicistes ». Nous allons ici tenter de dégager les apports du bouddhisme de tradition tibétaine dans nos sociétés et la manière dont il est diffusé.

La perception par les adeptes[2] de la transmission du bouddhisme, nous montre un public relativement inquiet quant à son avenir dans nos pays, surtout parmi les anciens adeptes, qui ont connu les maîtres tantriques et qui fréquentent encore les centres d’enseignement de cette spiritualité. Son implantation en France a été et demeure assez complexe, nous l’évoquerons. Peut-on présumer de l’ensemble des motivations des différents acteurs qui l’ont suscitée ou qui la maintiennent encore de nos jours ?

Si certaines structures ont semblé résister en maintenant le tibétain, l’art sacré et certains rituels, il ne semble pas en être de même au niveau des transmissions. Nous définirons ce qu’est exactement le bouddhisme pour les adeptes et pour les Maîtres. De quelle façon les Français le pratiquent-ils ? Quels enseignements reçoivent-ils ?

C’est évolutif au cours du temps, nous l’avons démontré.

1°/ – Une nébuleuse historique

            La géopolitique des évènements de 1949 avec l’invasion du Tibet par l’armée de libération populaire de Mao Tsé Toung, semble prendre ses racines en amont et hors frontières, dans les années 1943-1948, lorsqu’une délégation tibétaine, a voyagé entre les USA, la France, l’Italie, la Grande-Bretagne, l’Inde…[3]. Si le 13e Dalaï-Lama est décédé en 1933, le 14e du nom, encore en titre, est né en 1935, donc il n’a eu aucun impact ici. Le pays était alors gouverné par une régence, changeant au gré des « disparitions ». Qui faisait partie de cette délégation voyageant dans le monde entier au plus fort de la seconde guerre mondiale, avec des passeports tibétains parfaitement en règle ? Quels ont été les accords passés de part et d’autre ? Etait-ce une préparation du terrain auprès des puissances mondiales qui avaient, ne l’oublions pas de nombreux intérêts financiers tant au Tibet qu’en Inde : projets de chemin de fer, de barrages hydrauliques, d’investissements miniers, etc. ?

Les armées américaines se sont désengagées de Tchang Kaï Chek, qui a laissé sa place à Mao, pour partir couler des jours heureux à Taiwan. L’ONU n’a pas réagi à l’appel au secours lancé lors de l’invasion du Tibet[4] ; pire encore, la Grande-Bretagne a reconnu par la suite le Tibet comme une province chinoise. N’oublions pas non plus les accords commerciaux passés entre l’Inde et la Chine dès 1954. Que faisait la population tibétaine pendant ce temps là ?

Les guerriers tibétains khampas ne se sont soulevés qu’en 1956. Il semble qu’ici, les religieux  aient été particulièrement visés. Outre leur influence majeure au niveau des Dzongs équivalents à des districts (Amundsen, 1997), n’oublions pas que ce sont eux qui dispensaient l’instruction et influençaient les tibétains au niveau de la gestion des sols, de l’agriculture, de l’hydrographie, de l’exploitation minière, voire du tourisme. De plus le bouddhisme vajrayãna est un des derniers bastions de spiritualité vivante qu’il convenait de mettre à bas dans les logiques internationales de développement. Le Comité juridique d’enquête sur la question du Tibet, nommé par la Commission Internationale de Juristes « considère que des actes de génocide ont été commis au Tibet dans l’esprit d’exterminer la population tibétaine en tant que groupe religieux ». Ce n’est qu’en 1959 que le Dalaï-Lama, « aux mains des rebelles khampas » dénonça publiquement « l’accord en 17 points » et proclama l’Indépendance du Tibet. A cette démarche les Etats-Unis ajoutèrent la condamnation des violations des droits de l’homme au Tibet, sans toutefois intervenir matériellement. Quels auraient pu être les réseaux diplomatiques qui permirent aux Chefs religieux tibétains de quitter leurs pays et de parcourir le monde ?

En cette période troublée de l’après-guerre, dans le flou des accords de Bretton Woods et des premiers bombardements nucléaires, de nombreux scientifiques se réunirent pour fonder des mouvements de protestation[5]. Il aurait pu être de leur compétence d’intervenir pour la sauvegarde des Lamas Tibétains et des transmissions du bouddhisme vajrayãna.

  • Les Passeurs

Il nous semble trop facile d’accréditer les seules interventions de la Central Intelligence Agency (CIA) ou des laïques, mécènes généreux et adeptes dans cette affaire. Si nous examinons l’installation des tibétains en Dordogne, c’est Bernard Stanley Benson qui en est officiellement à l’origine. Anglais et physicien de génie il travaillait pour la Royal Air Force[6], durant la dernière guerre. Parcourant le monde pour la Paix, dès les années 1950, il était en lien direct avec le Pentagone et de nombreux chefs de gouvernements. Il est possible qu’il est rencontré Jacques Chaban-Delmas[7] et Maurice Bougès-Maunoury[8], durant la Résistance en Angleterre ou plus tard, aux USA. Cela expliquerait en partie, le choix de la Côte de Jord, en Dordogne, pour l’installation des Lamas tibétains. Ce lieu retiré assurait toutes les conditions requises aux pratiques spirituelles, ainsi qu’une relative tranquillité pour permettre aux tibétains une intégration douce en France. Les journaux de l’époque[9] furent quelque peu ironiques quant à la conversion subite de B. S. Benson, au bouddhisme de tradition tibétaine.

Il est arrivé en Dordogne où il s’est installé très facilement. Militant très original[10], il pratiquait déjà le yoga entre autres disciplines. En tant que physicien, il s’intéressait, avec d’autres scientifiques, aux recherches sur la psychologie, la cognition, les substances hallucinogènes… lorsqu’il a découvert les tibétains et leur science. Percevant les dangers qui planaient sur le bouddhisme vajrayãna et la grande sagesse (grec : connaissance) qui lui était liée, il aurait décidé dès lors de s’investir aux côtés des Lamas tibétains pour les aider à survivre, à sauver les textes et leur spiritualité et à propager leurs savoirs dans la future société-monde. Il a tout le profil de ces savants qui à l’image d’Einstein, voire de Russel, profondément pacifistes, mettaient leurs capacités et leurs renommées au service de l’humanité. Il faut bien sûr intégrer à ces données les appuis politiques, officiels ou non, sans lesquels rien n’aurait été possible.

En gardant la quasi-certitude que les Lamas tibétains ont pu profiter, entre autres, de ce type d’organisation, examinons les liens entre la philosophie de la plupart de ces hommes et celle qui est développée de nos jours par les enseignements bouddhistes. Tous ces savants n’étaient pas américains. Nombre d’entre eux ont émigré aux USA avant la seconde guerre mondiale. Il y eut, en parallèle à la montée du nazisme en Europe, une véritable fuite des cerveaux allemands et autrichiens de leurs pays d’origine. Bon nombre de ces scientifiques de renom international, libéraux et humanistes, étaient d’origine juive. Tous trouvèrent des postes dans les universités américaines où ils s’acclimatèrent fort bien. Dans leurs pays d’adoption, ces savants mathématiciens, physiciens mais aussi philosophes continuèrent leurs travaux entrepris dans l’Entre-deux-guerres[11]. Leur pensée, basée sur l’empirisme logique, se ralliait à la philosophie analytique anglo-saxonne chère à Russel : « ils voulaient débarrasser le mysticisme de son héritage métaphysique[12], c’est-à-dire de sa prétention illégitime à être une connaissance ou proposer un système du monde, pour lui redonner son statut véritable d’expérience » (Descamps, 2001). Cette démarche n’est pas sans rappeler certaines tendances du bouddhisme mahayãna et plus particulièrement du zen qui récuse tout enseignement oral, au sens classique du terme, pour y substituer une méthode de méditation fondée sur l’expérience même de la méditation. Selon l’idée commune à ces philosophes et au bouddhisme, tel qu’il est présenté dans nos pays, le moteur de l’existence humaine et de la société en général est la recherche du bonheur ; notons que cela conduit à l’individualisme et donc à tous les conformismes, critères actuels de nos sociétés-monde. Nous soutenons ici l’hypothèse que les idéaux philosophiques de ces scientifiques ont largement contribué aux adaptations des enseignements du bouddhisme indo-tibétain, tant en France qu’aux USA, premier pays d’accueil (avec la Suisse) des Lamas tibétains.

  • Bouddhisme et idéal démocratique

Les hommes que nous venons d’évoquer, qu’ils soient savants ou politiques, possédaient en commun un idéal démocratique. Dans la logique de l’après-guerre, après les reconstructions des différents pays et dans un objectif de développement pacifique de la société-monde, s’est tenu à Deauville en 1967, sous l’égide de l’OTAN, la « Conférence sur les déséquilibres technologiques transatlantiques et la coopération ». Elle a mis en exergue plusieurs point clefs quand à l’évolution des sociétés. La technologie devait remplacer la science et l’univers de l’immatériel et du virtuel celui de l’économie basée sur les échanges matériels et physiques, pour laisser place à un monde de transmission d’informations et d’idées, monde impermanent par excellence. Ces notions de non-matérialisme et d’impermanence sont émergentes dans le bouddhisme, dont la philosophie correspondait à celle d’une jeunesse démobilisée, déchristianisée et sans idéologie, comme l’ont montré les évènements de 1968 en France et ceux liés à la guerre du Vietnam aux USA.

L’idéal démocratique, dans le discours, semble bien corrélable aux idées de paix et de responsabilité individuelle. La notion de responsabilité individuelle passe pour une clef dans la socialisation des populations. On retrouve dans la déclaration de Jacques Chaban-Delmas à l’Assemblée Nationale, « La Nouvelle Société » en 1969, un exposé de ces nombreux idéaux. Homme d’action, il ne pouvait que cautionner l’arrivée du bouddhisme en France. Deux autres facettes de Jacques Chaban-Delmas, moins connues, était d’une part son intérêt pour la vie de l’esprit, d’un point de vue scientifique[13], et d’autre part, l’engagement bouddhiste de sa seconde épouse, disciple et mécène de Thich Naht Hanh, maître du bouddhisme mahayana, dont le centre est situé aux Pruniers, près de Libourne (Gironde). Selon certains témoins, il aurait été lui-même proche du 16e Karmapa, dont il aida à la propagation de certaines activités[14]. Cela nous induit à nouveau à prendre en considération l’aspect diplomatique ayant prévalu aux migrations. Il mériterait fort d’être développé, mais de nombreux documents ont disparu des circuits officiels…

La Conférence de Deauville prévoyait également le remodelage des institutions politiques, ce qui « entretenait une démocratie anticipatoire » qui remplacerait à terme les Etats-nations. Seulement une démocratie n’a pas la possibilité de s’auto-générer. Le régime démocratique n’est pas producteur par lui-même des valeurs qui le font vivre (Racine, 1999). Il est ainsi sans cesse menacé par toutes les formes de perversions sociales prêtes à se manifester et il ne peut survivre à terme que comme produit d’une éthique qui doit sans cesse être renouvelée par une foi qui seule peut transformer et reconstruire la vie individuelle et collective (Biéler, 1995). Hors, la relation privilégiée entre la démocratie et la religion chrétienne, notamment le protestantisme, a été remise en cause depuis les années 1970 avec la perte d’influence des Eglises (Bussi, 2002). L’introduction du bouddhisme en Occident semblerait coïncider avec la recherche de nouveaux modèles démocratiques dans nos sociétés. Partant du constat où les démocraties apparaissent durables dans des Etats où les religions non chrétiennes jouent un rôle majeur dans l’organisation de la société, l’alliance du bouddhisme et de la démocratie s’avère un élément positif dans les recompositions politiques des années 1970. L’avantage que possède le bouddhisme sur les religions monothéistes est qu’il n’a pas recours à un Dieu unique révélé et centralisateur représenté par une Eglise, puisque le lama est le transmetteur de l’Eveil. Il n’y aurait, à terme, sur un plan conceptuel idéologique, plus besoin de se référer à une école ou à une lignée. Cette « religion » est donc en parfait accord tant avec la laïcité éclairée, qu’avec la segmentation des territoires et les redécoupages politiques de l’espace, et ce, dans de nombreux pays. Ce qui laisse entrevoir la probabilité de nombreuses tentatives d’instrumentalisation. Le bouddhisme pourrait-il devenir un des nouveaux supports des démocraties modernes ?

 Le principe de laïcité va à l’encontre de cela, même si le bouddhisme est perçu davantage comme une philosophie que comme une religion. Il faudrait de surcroît que le nombre officiel des adeptes augmente considérablement. Cependant, de nombreuses versions sécularisées du bouddhisme émergent fortement dans les pays du Nord, et gagnent les pays du Sud. La question reste ouverte quand à l’avenir.

2°/ – Un développement canalisé

C’est dans la conjoncture, d’un monde lassé des guerres et d’une « jeunesse démissionnaire » que de nombreux « disciples occidentaux firent la requête au XVIe Gyalwa Karmapa d’envoyer des Maîtres du bouddhisme vajrayãna dans les pays du monde moderne ». Au niveau des Lamas tibétains, toutes écoles confondues, il fallait à tout prix préserver une spiritualité que certains gouvernants Chinois[15], pour l’essentiel, auraient bien voulu faire disparaître (Commission Internationale de Juristes 1959 et 1960). Plusieurs réunions eurent lieu au monastère de Rumteck, au Sikkim (Inde) en présence notamment de Kalou Rinpoché[16] sur la question d’une « possible introduction du Dharma en Occident ».

Dès 1971, ce dernier entama un voyage comprenant plusieurs escales dont une en Israël pour y rencontrer un grand Rabbin et une au Vatican ou il rencontra Paul VI. Ce furent les premiers liens officiels avec nos cultures judéo-chrétiennes. Il passa une semaine en France, en juillet, essentiellement à Paris. Sur le territoire français, le bouddhisme avait commencé à se matérialiser d’une part grâce aux ancrages que pouvaient représenter les groupes formels ou informels d’étude et de méditation[17] et d’autre part, par le biais de l’édition et de la diffusion de nombreux ouvrages dans la société française. Il revint en France en 1972, année où le biologiste Matthieu Ricard partit dans l’Himalaya, faisant le chemin inverse[18].

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Figure 2 : Disposition des centres bouddhistes sur la Côte de Jord

 

  • Prise de possession des terres : entrée en jeu des laïques français

En 1974 Kalou Rimpoché inaugurait le centre de Paul Arnold à Fort les Bancs (Ain) ; les centres fleurissaient : à Grenoble en 1974 Jean-Pierre Schnetzler[19] avait fondé le Centre d’Etudes Bouddhiques, « sans distinction d’école » et achètera en 1977 une chartreuse à Montchardon (Isère) qu’il offrira au XVIe Gyalwa Karmapa et à Kalou Rinpoché.

En 1975, Bernard S. Benson partagea une partie de son domaine de « La côte de Jord », en Dordogne, entre l’école Karma Kagyu – en faisant don des terres au XVIe Gyalwa Karmapa –  et l’école Nyingmapa représentée par Dudjom Rinpoché.[20]. C’est l’année où le Maître le plus éminent, Pawo Rinpoché[21], que le Karmapa considérait comme le Protecteur des enseignements s’installa aux Tranchats, face à ce site. D’autres Lamas les rallièrent ; Lama Jigméla, neveu du Karmapa – il le représentera en France – et Lama Thukden Zangpo ; ils arriveront en mai au Château de Chaban (sur la Côte de Jord) ; en août, Lama Guendune, Maître de méditation, les rejoindra.

Qu’en est-il des terres offertes si médiatiquement, au niveau de l’ancrage territorial administratif ? Derrière les cérémonies officielles et médiatisées des donations de terrains aux Lamas Tibétains, il y avait en fait, une appropriation administrative et légale de ces biens immobiliers par des associations cultuelles dirigées par des laïques français, dont bon nombre venaient de Paris et de la région niçoise.

fig 3 bitSource : Karma dGôn :  extrait de journal  non titré et non daté
Photo 1 : B. S. Benson entouré des Lamas Jigmé-La et Thukden-Zangpo
  • Marquage symbolique du territoire

Nous avons retenu 1975 comme l’année de la naissance du bouddhisme Vajrayãna en France. Sur un plan spirituel tout d’abord puisque le XVIe Gyalwa Karmapa pratiqua dans l’espace français plusieurs cérémonies de la « Coiffe Noire »[22] à Paris et à Aix-en-Provence, pour l’essentiel. Il inaugura le centre de Kagyu Dzong de Paris placé sous l’autorité spirituelle de Kalou Rinpoché et visita le centre de Kagyu Ling au Château de Plaiges (à Autun)[23] placé également  sous l’autorité spirituelle de Kalou Rinpoché ; il fit en ce lieu une cérémonie de la Coiffe Noire. Ces cérémonies permirent de recruter de nombreux adeptes et donateurs.

Le 13 octobre 1975, sera créée l’Union Bouddhiste d’Europe, dont Paul Arnold, sus-cité, prendra la présidence. L’année suivante cette fédération éditera « l’Annuaire des Organisations Bouddhiques d’Europe », dans l’avant-propos duquel il a évoqué la création de l’UBE: « En trois journées d’ardentes et fraternelles discussions, ce séminaire a constaté une commune volonté de rapprochement et de coopération, l’urgence de résoudre de façon efficace, pratique, les nombreuses questions que suscite l’épanouissement du bouddhisme en Europe… » Un recensement méticuleux de tous les centres existants, aurait-il été réalisable avec les moyens de l’époque sans les appuis de diverses structures pré-existantes dans toute l’Europe ?

« Nos frères de Hongrie, de Pologne et de Suède nous facilitèrent la tâche » (Arnold, 1976). Tous les centres diffusant le bouddhisme ont été concernés qu’il s’agisse du bouddhisme indo-tibétain, japonais (Zen, Mahayãna), ou Est-asiatique (Théravada). Parmi les anciens certains évoquent « l’engagement de nombreuses personnes, membres de fraternelles maçonniques diverses »[24] dans cette logistique de transmission. Cela confirme les liens, évoqués par plusieurs auteurs, qui existaient déjà en amont de cette époque ; ils ont permis  « l’expansion du message bouddhique essentiellement universel et indépendant de toutes les contingences locales » [25].

Nous voyons s’étoffer le tissu organisateur de la diffusion du message, l’année même de la visite du XVIe Gyalwa Karmapa, non seulement dans l’ancrage territorial avec l’apparition des centres, mais aussi sous forme de multiples réseaux européens, se superposant aux réseaux diplomatiques d’une part et aux réseaux d’adeptes d’autre part. Tous ces multiples acteurs, vecteurs ou porteurs de la transmission du vajrayãna dans notre pays s’entre-croisent: Intérêts divers qui se chevauchent, engagements multilatéraux auprès des Grands Maîtres… C’est un tout que chacun peut interpréter selon ses critères.

3°/ – Logistique de la diffusion du bouddhisme dans l’espace français

Les vecteurs de la transmission sont les Maîtres tibétains, charismatiques, qui, sans une matérialisation de l’espace, une organisation de l’information pourraient difficilement « transmettre » dans nos pays. D’où l’importance de supports visibles comme les drapeaux de prières, les stoupas, les temples, mais aussi celle des marqueurs invisibles de l’espace, faits de réseaux, sans lesquels le territoire n’existerait pas. Le « message » a été délivré à l’origine par ces grands Lamas, dans un souci de pureté et de profondeur, semble t-il ; seulement il est lié à ce que Simmel nomme la tragédie de la culture, qui est le fait que le vital, pour se réaliser, a besoin de sa propre anti-thèse qui le fait mourir. Cela veut dire que pour transmettre, outre le fait d’informer la matière, je dois organiser une communauté ; cette communauté va se donner une orthodoxie et  va commencer à normaliser, à fossiliser le message, pour le conserver : au lieu d’être médiatrice du message, elle va devenir l’obstacle de ce message (Debray, 1991). Pourquoi transmet-on ?

Les enseignements étaient en péril avec le risque de disparition pour l’humanité, du fait des répressions chinoises et de la non-intervention des pays occidentaux. Les transmissions sont vivantes, ce qui est au-delà des textes, sur un plan informationnel à vecteurs énergétiques. Les tibétains en exil ne pouvaient pas se permettre de les laisser perdre. Ainsi que nous l’a exprimé un lama occidental : nous n’en sommes que les dépositaires, des tulkous viendront après, d’Inde ou d’ailleurs. Là, au niveau du territoire invisible, au sein des vecteurs de la transmission, nous voyons se cristalliser plusieurs formes de réseaux organisateurs dans l’espace. Quels thèmes le Congrès Bouddhique Paneuropéen organisé par l’UBE des 15 au 18 juin 1979, à l’Unesco de Paris a-t-il traité ?

Pour résumer, les participants se sont penchés sur les éventuelles « antinomies » pouvant exister entre le bouddhisme (global) et la « mentalité européenne » conçue par le biais de la psychologie et des structures sociales. Ils ont étudié l’intégration du bouddhisme dans la vie quotidienne et les œuvres sociales, l’effet stimulant qu’il pourrait avoir sur une vie humanitaire  et son rôle possible dans l’œuvre éducative, avec pour corollaire la façon d’y intéresser les enfants. Ils ont approfondi les liens du bouddhisme avec les sciences naturelles, l’influence des méditations et de la thérapie bouddhique dans l’enrichissement des médecines occidentales ainsi que les liens pouvant être tissés entre avec la psychothérapie occidentale. Enfin, furent étudiées les façons d’introduire certaines rituels et cérémonies bouddhistes dans les sociétés occidentales, la composition et les règles applicables aux Sangha (en tant que groupes de religieux) ainsi que le rôle des femmes dans les transmissions et les degrés nécessaires de leurs initiations. En conclusion de quoi, les participants ont planché sur « le but ultime du bouddhisme dépasse t-il les possibilités humaines », vaste programme pour des profanes en bouddhisme…

C’est un bouddhisme éclairé, par ces travaux-là, que nous retrouvons depuis près de deux décennies en France, depuis la mort des Maîtres tibétains, qui semble t-il n’ont pas pu transmettre tout ce qu’ils auraient voulu, aux  pratiquants vrais[26], en France : il y a tant de transmissions ou de vecteurs qui disparaissent, de livres et de bibliothèques qui brûlent, de prophètes que l’on n’écoute pas, de messages qui se perdent, de bouteilles à la mer que l’on n’ouvre pas (Debray, 1991). Bouddhisme distillé dirons les uns, bouddhisme adapté affirmeront les autres. Le territoire prend forme grâce à cette multitude d’acteurs aux motivations diverses. Quels étaient leurs liens avec les Lamas tibétains ? Ces derniers étaient-ils toujours au fait de la complexité institutionnelle française ? Cela semble peu probable. Sur un autre plan, les premiers adeptes occidentaux, incluant les lamas actuels, commençaient à arriver sur les centres. Ils étaient pour la plupart « des hippies, des baba-cool ou des marginaux contestataires » bien éloignés, nous semble t-il, des finesses institutionnelles françaises, européennes ou mondiales.

  • Création des sangha et reconnaissance officielle des congrégations religieuses

Si le 5 décembre 1977 les premiers disciples de Kalou Rinpoché en France, entrent en retraite à Kagyu Ling (Savoie), ce sera du centre de Dhagpo Kagyu Ling (Dordogne) qu’émanera la première congrégation bouddhiste officiellement reconnue par l’Etat français. L’enchaînement des évènements de l’époque permet de retracer le processus de reconnaissance de cette première congrégation bouddhiste[27]. Au niveau administratif, six mois après la création  de l’UBF (Union bouddhiste de France), le premier janvier 1987, la congrégation monastique Karme Dharma Chakra voyait le jour en Dordogne. Elle se substituait à l’association cultuelle Karma Kagyu Lama. Quelles étaient les conditions au niveau législatif de la reconnaissance légale de cette première congrégation bouddhiste par le gouvernement français ?

Il fallait un corps religieux français. La sortie de retraite des premiers occidentaux (sous la direction de Lama Guendune, au Bost, en Auvergne) constituant la sangha[28] occidentale, a eu lieu le 11 juin 1987, ce qui permettra aux « lamas » occidentaux frais moulus, de prendre des responsabilités officielles au sein de la congrégation. Il fallait également une autorité religieuse pouvant attester de l’antériorité et de la réalité de la religion demanderesse. Nous la retrouvons en la personne de Shamar Rinpoché, officiellement reconnu, tant par le Dalaï-Lama que par le gouvernement indien, comme représentant de la lignée Karma Kagyu (Coiffe Rouge).

Le Ministère des Affaires Etrangères français examina le dossier en relation avec le Ministère de l’Intérieur qui le soumis au Conseil d’Etat. Ce dernier relève du premier ministre, Jacques Chirac à l’époque, qui était favorable au bouddhisme[29]. C’est en général le premier ministre qui propose les décrets. Le Président de la République, F. Mitterrand[30], a signé ce décret qui avait été délibéré en Conseil des ministres. Il a été ensuite contre-signé par les ministres responsables, dont ceux chargés de leur application. Sous ce gouvernement de cohabitation, le ministre de l’Intérieur, Charles Pasqua a donc travaillé essentiellement avec J.B. Raimond, ministre des affaires étrangères.

La congrégation est soumise pour le temporel aux autorités civiles compétentes. Elle relève directement de la Préfecture, et « en cas de dissolution par décret de la congrégation, le chapitre conventuel se prononcera sur la dévolution des biens à une autre congrégation autorisée ou légalement reconnue poursuivant le même but » (article 12). La matérialisation territoriale de la congrégation est donc directement dépendante des décisions de l’Etat français. Il semble que derrière le beau discours officiel, il y ait eu, en fait, une main-mise de certains représentants de « l’Etat », patentés ou non, sur le centre bouddhiste de Dhagpo Kagyu Ling. Pourquoi ce centre ?

L’une des raisons expliquant ce choix, pourrait tenir dans le fait que Jigmé Rinpoché soit le frère (par filiation) de Shamar Rinpoché[31], ce dernier assurant officiellement la continuation de la lignée dans la logique Yab-Tsé (Père-fils, du Karmapa au Shamarpa), le Dalaï-Lama ayant réintégré ce dernier dans ses titre et fonctions en 1964.

  • congrégation monastique Karme Dharma Chakra (Dordogne) 24.050.002 : elle dépend de l’école bouddhiste Kagyu Pa ; siège à Rumtek, Sikkim (Inde).[32]
  • Congrégation monastique bouddhiste « Karme Dharma Chakra », Saint-Léon-sur-Vézère Montignac (Dordogne) – décret du 8 janvier 1988 – J.O du 10 janvier 1988 (Réf. BCC : 050.002 – 3 / 2 / 1)

Le représentant légal, l’abbé de la congrégation, est Lama Jigmé Rinpoché, naturalisé français. Pour le spirituel, la congrégation est soumise à « sa sainteté le Karmapa » et en son absence au second de lignée, donc « à son éminence Shamar Rinpoché ayant son siège à Rumteck » au Sikkim, en Inde. Elle dépendait directement, au niveau religieux de l’autorité de Lama Guendune ayant son siège au monastère et « d’une façon générale à leurs représentants désignés en France pour la promotion aux ordres sacrés et à l’exercice du ministère spirituel »[33], donc de Lama Jigme-la. Pour le temporel, elle est soumise aux autorités compétentes. Ces dossiers sont très longs à monter et demandent six à huit mois d’instruction. Depuis cette date, il y eut une dizaine de reconnaissances officielles. Si certains centres n’en font pas la demande, cela ne signifie pas qu’ils soient en dehors du réseau. Ces reconnaissances officielles ont permis au bouddhisme indo-tibétain de sortir aux yeux de tous de l’image de la secte.

Le Dalaï-Lama visita officiellement les centres de Dordogne, où il a donné des enseignements en 1991. Les témoignages sont unanimes sur l’immense foule qu’a véhiculé l’événement. A cette occasion, l’Association Bouddhiste des Centres de Dordogne (ABCD) a été créée pour recevoir près de cinq mille personnes (tentes, stands…) ; inaugurée par B. Kouchner, elle a reçu également l’abbé Pierre et de nombreuses personnalités du monde politique, tous partis confondus.

Outre les enseignements donnés par les Maîtres tibétains, les européens des débuts ont participé activement à la propagation de cette religion sur notre territoire. Il a fallu moins de vingt ans pour que se crée en France un territoire bouddhiste. Cet ancrage territorial, représenté par la figure 3, est lisible dans la multiplication des centres-mères dans une première logique de dzong (Bruskeland, 1999). Il s’est propagé ensuite sur un modèle de gompas (Singh, 1977), avec des relais de type KTT[34] ou KDTL ainsi que des emprises territoriales plus diffuses, non officialisées et pas toujours repérables. Nous pouvons parler dès à présent d’un pavage de l’espace français, où sont données des transmissions à différents niveaux.

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Figure 3 : Centres  du bouddhisme  de tradition tibétaine en France. Année 2004

Les religieux français et européens, ayant reçu les premières transmissions, ont commencé à prendre les rênes des centres, tandis que les Maîtres tibétains s’en sont allés. Le bouddhisme de tradition tibétaine officialisé par l’Etat français, reste sous l’emprise de nombreux laïques, « veillant pour l’essentiel aux tâches administratives », à la gestion des centres, et à la formulation des requêtes d’enseignement auprès des lamas tibétains. Les sangha, toujours spirituellement dépendantes des tibétains ont tenté de gagner peu à peu leur autonomie mais des tibétains plus jeunes et très bien formés, des tulkous[35], enseignent maintenant régulièrement sur notre territoire. D’autres Maîtres tantriques, beaucoup plus discrets, sont réservés aux initiés. Quant aux retraites traditionnelles de trois ans, elles semblent s’appauvrir. Nous constatons, au sein de plusieurs structures, un lissage de leur contenu, ce qui corrèle tant les craintes des anciens que les observations de nombreux auteurs quant à la transmission d’un bouddhisme distillé (Ho Ling, 2001  et K. el Adji, 2001). Sous prétexte que « les temps ont changé », que « les transmissions doivent être adaptées et donc plus progressives », on assiste à une mise à l’horizontale de la verticalité des pratiques et des enseignements, liée à une éviction des intellectuels. Quant aux scientifiques des débuts, ils sont de plus en plus discrets, le bouddhisme à l’américaine reposant sur des liens avec la psychologie ayant pris le pas. Cela est repérable aisément dans la matérialité des lieux, avec l’affadisation des représentations d’art sacré telles les peintures de certains centres ou encore dans les nouveaux ouvrages mis à la disposition des publics.

4°/ – Que recherchent les adeptes rencontrés sur les centres ?  

Ainsi que nous l’avons exprimé en introduction, nous décrirons le bouddhisme sans ambages[36], en nous référant au scientifique bouddhiste Matthieu Ricard. Les trois voies selon lesquelles est fréquemment décrite cette spiritualité sont en fait un condensé des neufs véhicules des anciens, qui peuvent y être pratiqués. Ils arrivent après les deux véhicules dits mondains[37]. Ces véhicules supra-mondains, permettant d’atteindre l’Eveil (tib. Sangyé : au-dela des voiles) ont en commun trois supports : Bouddha, Dharma (des écritures et de la réalisation) et Sangha (le guide, le chemin et les compagnons sur le chemin). Ils enjoignent d’observer une discipline morale, de cultiver une profonde méditation et une sagesse pénétrante, seules susceptibles de délivrer l’être humain du samsara, l’Eveil pouvant être atteint à divers niveaux, selon la vue développée et les pratiques méditatives enseignées.

Ces véhicules comprennent les trois voies des soutras : le Hinayãna (voies des shravaka et des pratyékabouddha) et le Mahayãna (voie des bodhisattva) ainsi que les six voies des tantras formant le Vajrayãna : Kriya, Upa, Yoga pour les tantras extérieurs et Mahayoga, Anuyoga et Atiyoga pour les tantras intérieurs qui seuls permettent l’obtention du plein Eveil en une seule vie.

Chaque voie est déterminée par une motivation : le désir de libération individuelle, l’intention altruiste de libérer les êtres de la souffrance en les conduisant à l’Eveil, ou celle de se libérer rapidement, ainsi qu’autrui de l’illusion (tantra). Chacune s’exprime par une vision particulière du monde et de ses habitants : la vue ; par des techniques méditatives ou moyens habiles ; par des actions spécifiques à accomplir et par l’obtention d’une évolution spirituelle qui lui est spécifique : le fruit. Le Vajrayãna est fondé sur la pure perception. L’accès à ce véhicule est l’initiation ou abhisheka (plus ou moins profonde, elle peut n’être qu’une bénédiction) conférée seulement par un Maître spirituel authentique : c’est le moyen de connexion.

Au Tibet, étaient transmis deux types de bouddhisme : la religion des dieux (lha tch’os) transmise aux tulkous et aux fils de famille ou à ceux issus d’une oligarchie religieuse (très rarement aux filles) et la religion des hommes (mi tch’os) intégrant des notions pré-bouddhiques et maintenue dans les villages, loin des monastères et des lamas, la religion quotidienne, avec ses craintes et ses coutumes, ses démons et ses génies (Meyer, 1988). Qu’en sera-t-il en France ?

Il semble que le second type de transmission soit de nos jours le plus fréquent. De nombreux colloques interreligieux tel le « parlement des religions »  ainsi que des rencontres entre le bouddhisme et le catholicisme ou la franc-maçonnerie ont eu lieu fréquemment. Les contacts avec les autres spiritualités restent beaucoup plus discrets. Sans parler de syncrétisme, il pourrait bien y avoir ici, un lissage du bouddhisme ou « adaptation » sur le mode d’un humanisme réenchanté (Lenoir, 1999). Ainsi, l’adepte acceptera t-il son destin, se résignant selon « la loi karmique » sans toutefois se dessécher ni éprouver rancune ou envie, se montrant généreux quelles que soient les circonstances, en se libérant de soi-même, donc de sa saisie égotique. En gardant toujours amour, compassion et créativité, il pratiquera l’action juste au moment juste et ses « rituels » seront complétés de quelques feuillets et explications à mesure qu’il avancera sur la bonne voie, version « les six paramitas ». La gnose du vajrayãna n’allant pas dans le sens d’une moutonnisation de la société (Benson, 1989), elle semble réservée à une élite dont les critères et les jurys de sélection resteraient à déterminer. Les sociétés bouddhistes, connaîtraient-elles, elles aussi, deux classes d’individus ?

La première, préparatoire, incluant une majorité de femmes, serait cantonnée à la formation du bon être humain et aux œuvres de bienfaisances[38]. La seconde resterait secrète,  les initiés, en nombre très réduit, essentiellement masculins, y auraient accès à la connaissance de la vérité – les pratiquants ordinaires, ignorant tout de cette dernière. Nous assistons de nos jours à l’évanescence des traces, processus classique d’une adaptation réussie s’accordant aux analyses du fait religieux faites par Régis Debray. En parallèle, nous observons une sécularisation croissante des pratiques bouddhistes en lien tant avec les lamas tibétains qu’occidentaux. Nous citerons à titre d’exemple, les consultants en entreprises, faisant du coatching, formés par des lamas tibétains. De nombreux séminaires ont eu lieu dans des lieux discrets, depuis la fin des années 1980 avec des responsables d’entreprises. D’autre part, de nombreux colloques entre les psychologues et les lamas ont été réalisés, dans la plupart des centres. Arriverons-nous ainsi à un nouveau type de psychologie cognitive ?

Le Fait Religieux revêt deux aspects majeurs. L’un relève du social et s’enracine dans la pratique collective d’une religion tandis que l’autre a trait à l’intime et ne dépend que du choix de la conscience individuelle. Nous le qualifions par quête spirituelle.

  • Quelle est la quête du public français, aujourd’hui ?

La montée de l’individualisme liée à la segmentation actuelle de la population qui semble se diriger vers un système de castes, ouvre sur des facteurs très favorables à un renouveau religieux en général, et non à l’implantation spécifique du bouddhisme. Ainsi des signes de retour au sacré, lisibles de plusieurs manières, se superposent-ils aux demandes croissantes de soutien socio-psychologiques de nombreux individus (Bréchon, 2000 et Streigler 2004). Les domaines sociaux et religieux s’interpénètrent. Toutefois, il conviendrait ici de faire une mise au point quant au bouddhisme. En effet, cette spiritualité n’a pas une vocation sociale. Si nous nous référons tant aux soutras qu’aux tantras, son but est depuis l’origine de permettre à l’individu l’accès à une connaissance et à une sagesse, qui le libèreront des chaînes du monde conditionné. L’individu entrera dans le chemin dont les clefs lui seront données plus ou moins rapidement.

Nos travaux sur le sujet, avec en l’occurrence un médecin psychiatre ayant intégré les groupes de réflexion bouddhistes, nous permettent d’affirmer qu’il y a antinomie entre quête spirituelle et psychologie. Si cette dernière aide à éliminer la souffrance, le rôle du maître spirituel est d’y amener l’adepte afin qu’il puisse la dépasser tout en comprenant ses racines. Ainsi, ceux qui ont une réelle démarche spirituelle feront face : cette dernière s’adresse aux gens suffisamment structurés. Ceux qui recherchent un cataplasme, font une démarche égocentrée, très fréquente dans nos sociétés de confort, de besoins à assouvir et de refus de frustration : ils auraient besoin de démarches psychologiques tout en parcourant le chemin. Cette vision fort intéressante montre que les lamas occidentaux ayant, pour certains, fait la démarche, sont préparés à bâtir des ponts entre spiritualité et psychologie (Obadia, 1999).

Avant S. Freud pour les villes et ce pour une clientèle bourgeoise, et jusqu’à l’après-guerre dans les campagnes, les psychologues étaient inconnus. C’était soit le curé qui donnait les conseils (confession…), soit le sorcier du village ou le guérisseur qui soignait aussi bien les maux du corps que ceux de l’esprit. Dans toutes les traditions l’action sur la psyché était dévolue au sage (en Afrique) ou au religieux du fait d’implications profondes et d’inscriptions corporelles incontournables (Clifford, 1997). Sont-ce la montée de la laïcité et de la conception mécaniste du corps qui ont bouleversé la donne ? Les choses sont-elles modifiées de la même manière en zone urbaine qu’en zone rurale ?

Avant de répondre, penchons-nous sur les motivations qui animent les adeptes dans leurs fréquentations des centres.

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Tableau 1 : Image du bouddhisme chez les visiteurs

Nous avons déterminé trois grands ensembles, les réponses se traduisant souvent par des aspects multiples. La motivation principale des adeptes fréquentant les centres semble être d’aspect personnel et sociétal (85,5 %), les deux étant souvent liés dans les témoignages avec toutefois des nuances, assez précises. Puis il y a le groupe des adeptes se positionnant entre l’aspect vie quotidienne et spirituelle (27,3 %) et enfin ceux qui considèrent leur démarche avant tout d’ordre spirituel (49,9 %), bien que restant liée aux autres aspects. Ainsi, peu de personnes ayant une quête spirituelle prioritaire fréquentent les centres ouverts à tous, du moins dans la durée. Cette question ouverte permet de comprendre que l’adhésion est globale, se déclinant avec des aspects prioritaires, au sein d’un public majoritairement néophyte. (si notre enquête a été réalisée à Dhagpo Kagyu Ling en Dordogne, nous avons pu observer les mêmes comportements dans d’autres centres appartenant à d’autres lignées).

Les valeurs d’individualisation se renforcent, la vie privée n’a pas à être contrôlée par la société, chacun est libre de vivre comme il l’entend tant qu’il ne gène pas autrui (Bréchon, 2000). Nous sommes proches ici des enseignements bouddhistes du hinayãna, que nous retrouvons dans les résultats de notre enquête. Font-ils un  pas vers le mahayãna quant les individus citent la valorisation renforcée de la tolérance et du respect d’autrui, préceptes qui grâce aux enseignements et aux pratiques méditatives, modifient leur existence par les biais des  prises de conscience de l’environnement humain et de l’ouverture aux autres (22 %), de la pacification, de la baisse de la violence et de l’agressivité (14,5%), du lâcher-prise par rapport aux évènements et de l’acceptation des épreuves et des situations difficiles (11,5%) ?

Nous retrouvons également dans leurs dires, des valeurs développées dans nos sociétés depuis près de trois siècles : une plus grande confiance en soi, une diminution des angoisses et des peurs, aboutissant souvent à des modifications professionnelles incluant une forme de diffusion de la religion, lumière que les pratiquants irradient dans la société (sophrologie, psychologie, enseignements divers, réorientation des pratiques médicales, action sociale, etc.) et qui leur  permettent de donner un sens à leur vie tout en recouvrant leur liberté sans pour cela se mettre en marge de la société. C’est la  transformation de leur manière d’être toute entière, de leur corporéité ainsi que le démontre Francisco Varela. Cela est vécu également au niveau des espaces naturels où la communion avec les éléments se fait mieux ressentir. Les adeptes vivent des modifications de leur espace extérieur – tel une simplification de leur habitat où figure un lieu d’accueil pour un autel, une modification de leur pratique de l’espace avec par exemple, des déplacements plus fréquents vers les centres de Dharma au détriment des vacances mondaines, en parallèle de changements dans leur espace intérieur ; ce dernier se nettoie, se dépouille et se purifie au fil des modifications énergétiques. En résumé, selon leurs dires, ils tendraient vers plus moins d’a-priori ou de jugements et plus d’harmonie.

Au niveau de notre enquête phénoménologique, il est incontestable que de nombreuses modifications personnelles positives ont lieu : arrêt de la drogue, diminution de l’alcool, de la violence, changement professionnel, gestion des épreuves, les lamas servant souvent de béquilles comme le reconnaissent de nombreux adeptes. Cependant, en ce qui concerne l’amour du prochain, l’altruisme, voire l’éthique, si souvent nommés par les adeptes, il semble qu’il faille appartenir au groupe et s’y engager par diverses actions pour en percevoir les miettes. Comme dans toute appartenance similaire, en dehors du socialement visible, il règne ici une espèce de chacun pour soi duquel les notions de pouvoir au sens large ne sont pas à exclure, y compris chez les « bouddhistes » ayant fait des retraites de trois ans.

Mais après tout, si la réalité du bouddhisme tantrique était présentée, sans la qualification « Oriental » les novices comprendraient peut-être qu’il n’a rien à voir avec l’humano-catho-bouddhisme, largement diffusé, version occidentale cette fois. Dans le sens profond l’Occident se réfère aux individus ayant subi les affres de la « civilisation » matérialisante et ne doit pas être amalgamé au sens géographique, qui n’a rien à faire ici. N’oublions pas les liens qui ont toujours existé entre la Grèce et l’Inde comme en témoigne l’art sacré du Gandhara, puis entre Alexandre le Grand, l’Asie et l’Egypte ; les récits sur l’empereur Asóka et ses ambassadeurs du bouddhisme par delà les mers et ceux des grands navigateurs complètent ces connections. La logique simplificatrice actuelle, reposant sur les leurres d’un vocabulaire « initiatique », induit de grandes confusions chez les adeptes qui deviennent facilement récupérables donc instrumentalisables.

  • Le choix du bouddhisme est-il lié aux pratiques méditatives ?

Les pratiques méditatives sont à la base du bouddhisme. Quel que soit le véhicule considéré,  il n’est pas le simple fait d’une idéologie. Celles qui sont données au public ont un effet “apaisant” sur les flux émotionnels et les peurs induites[39]. Liées aux enseignements sous diverses formes, elles sont appréciées par une majorité d’adeptes. Si nous replongeons dans l’Inde d’il y a 2500 ans, il faut être conscient que tous les nouveaux adeptes du Bouddha Sakyamouni étaient déjà familiarisés avec les méditations dont la pratique complète de shiné, méditation de base, enseignée par de nombreux maîtres et rishis non bouddhistes. Elle permet une harmonisation entre la respiration et les mouvements des énergies physiologiques, une homéostasie de l’individu, un ré-équilibrage. Cela ne donne t-il pas aux enseignements un tout autre sens que celui d’une philosophie de vie ?

Les adeptes ont tous une pratique méditative qui reflète le lien au corps (Tarab Tulkou. 1998) oublié voire dénoncé par les religieux et les moralistes de nos pays occidentalisés. Au cours de ces vingt dernières années, le Dalaï Lama a travaillé avec des scientifiques[40] ; ils ont “échangé des vues sur des sujets qui vont de la physique quantique à la compassion et de la cosmologie aux émotions destructrices”[41]. Le docteur Richard Davidson du laboratoire de neurosciences de l’université du Wisconsin a pu étudier les effets des pratiques bouddhistes destinées à cultiver la compassion, l’équanimité, l’attention, sur les cerveaux de moines en état de méditation. Ces méditations pourraient créer des “zones tampon entre les impulsions violentes du cerveau et nos actions” ce qui se traduit par des états de paix intérieure même dans les conditions les plus déstabilisantes et par le renforcement de l’activité des parties du cerveau qui participent à la formation des émotions. L’article continue ainsi “les implications de tout cela sont claires : le monde d’aujourd’hui a besoin de citoyens et de dirigeants qui peuvent travailler à assurer la stabilité et engager un dialogue avec l’ennemi (quel que soit le type d’agression ou d’attaque qu’ils aient enduré).”

Est-il besoin d’être bouddhiste ou d’adopter une quelconque foi religieuse pour appliquer ces méthodes peu onéreuses pour la société ? D’après le Dalaï Lama et tous les lamas rencontrés, le meilleur antidote aux souffrances individuelles serait d’améliorer notre capacité à gérer ces émotions. Ce qui  est souvent admis d’un point de vue religieux par de nombreuses personnes se trouve réfuté sous un autre angle d’approche. Les femmes et les hommes, quelles que soient leurs origines, ne sont pas différents à ce niveau là. Nous avons pu observer, en Afrique, en Asie, comme en France, que souvent le message religieux, quelle qu’en soit l’origine, était le vecteur de nombreuses règles d’hygiène de vie essentielles. D’où peut-être cet appel d’offre grandissant, via une diffusion médiatique massive et simpliste de bouddhistes en vêture de moine y compris dans les publicités (K.el Adji, 2000).

Il est clair qu’il existe des pratiques méditatives beaucoup plus profondes, mais elles ne sont pas données à tous. Quels sont les critères de sélection ? Ils sont laissés au grès des organisateurs, des lamas occidentaux et pour les plus motivés dans nos pays, de certains Maîtres Tibétains. La relation organique n’est pas dissociable de la dimension qualifiée d’intellectuelle. Les Maîtres tibétains, insistent bien sur le fait que l’on ne doit pas dissocier “enseignements, pratiques spirituelles et réflexion”. De plus, les pratiques méditatives enseignées à tous les publics comblent sans le régler, l’impact croissant de la coupure entre les êtres humains et les espaces naturels non artificialisés. Les prévisions mondiales affirment que 80 % des populations vivront en zone urbaine d’ici 2020. Cela va engendrer de nombreux problèmes que nous ne pouvons développer  dans le cadre du présent article. Le bouddhisme, via ses techniques de méditation, pourrait alors être envisagé comme un palliatif.

  • Mouvements des populations

Les publics, en 2003, viennent sur le centre pour recevoir à la fois enseignements et pratiques méditatives (62%) pour les enseignements seuls (30%) ou pour les rencontres associatives ou autres. Les réguliers formant un tiers de la fréquentation viennent sur le centre une à quatre fois par an, pour recevoir initiations et enseignements par les Maîtres tibétains ou des transmissions spécifiques au vajrayãna, sur un week-end ou une semaine : si la moitié est récemment introduite sur la voie bouddhiste (entre un et trois ans), les autres fréquentent aussi d’autres lignées de transmission, pour compléter les enseignements reçus. Certains viennent régulièrement pour le Lossar (nouvel an tibétain). Les assidus formant également un tiers des adeptes et se déplaçant plus de quatre fois par an, sont soit en phase de découverte, soit investis dans les activités du centre : c’est essentiellement un public de proximité. Quant aux nouveaux venus (17%), ils sont en quête de repères, plus des quatre cinquièmes (dont un tiers vivent en Dordogne où est situé le centre) ne résident pas sur leurs lieux de naissance, mais essentiellement dans l’Ouest et le Sud-ouest, pôles de migration majeurs de ces dernières années. Enfin les occasionnels qui fréquentent le centre moins d’une fois par an, ont des pratiques personnelles et ne se déplacent que pour recevoir des transmissions de certains Maîtres tibétains. Peu d’adeptes ont évoqué les rituels, bien que les temples se garnissent à cette occasion. Il est ici paradoxal que l’intérieur du Temple ait été revu version zen et que les représentations comme Mahakãla n’y figurent plus alors que cette pratique est quotidienne.

5°/ – Du bouddhisme au christianisme, un même schéma de pratiquants

La transposition des espaces du catholicisme au bouddhisme est un syndrome naturel et culturel français. Serait-elle le fruit d’une stratégie subtile des organisateurs de sa diffusion ? Certaines religions n’ont pas prétention à évangéliser (…) par exemple le bouddhisme (Hourcade, 2002). Ceci est un point capital, mais alors que se passe t-il dans notre contexte ?

Tout simplement le Feu Sacré (Debray, 2003) quelle qu’en soit la source se répand sur un mode associatif, y adhère qui veut. Dans le catholicisme la vie sociale gère la vie paroissiale, les choses se sont inversées (Muller, 1997). Cela induit une montée de la réflexion spirituelle personnelle liée à des besoins de ressourcement qui conduisent un grand nombre de croyants dans les monastères et les lieux d’accueil, souvent héritiers d’institutions devenues vides (Muller et Bertrand, 1999). Dans notre contexte soit ces lieux ont été bâtis, soit ils se sont installés sur des sites religieux pré-existants donc pré-formatés[42].

Au sein du catholicisme, sur le territoire français ont été distingués trois types majoritaires de « pratiquants », différents dans leurs comportements et dans leur propension à la mobilité (Muller, 1997). Nous retrouvons ces figures-types chez les adeptes du bouddhisme, qu’ils soient ou non catholiques. Elles témoignent donc d’un trait culturel commun. Nous avons aussi examiné la montée actuelle du mysticisme dans le catholicisme, mise en exergue par de nombreux géographes car elle est également représentée ici.

  • « Catholiques du repère » et « bouddhistes du repère

Ils sont les plus nombreux, ce classement englobant les « grands moments religieux » tels baptême, profession de foi, mariage et inhumation. Dans le bouddhisme les pratiques régulières se font au domicile (autel) et il n’y a pas de sacrement comme le mariage. Par contre nous pourrions mettre en parallèle aux « pratiques des quatre saisons » (Rameaux, 15 Août, Toussaint et Noël), les fêtes du Nouvel an Tibétain, le Lossar [43], la fête de Vasak jour où le bouddha a atteint l’Eveil, à la pleine lune du mois de Mai[44].  Les moments visibles du chemin sont la prise de refuge (entrée sur la voie) et les prises de vœux soit de fidèle laïque soit de bodhisattva, les vœux tantriques étant plus personnels. Quant au décès, il n’y a pas de cérémonie dans nos pays, mais seulement un accompagnement du mourant ; les cendres du défunt peuvent être confiées au monastère du Bost pour reposer dans un stupa aménagé à cet effet. Les crémations publiques ne sont pas autorisées en France. Cependant en 1997, lors du décès de Lama Guendune, Maître de méditation originaire du Kham, une autorisation spéciale a été délivrée (Guérineau K., 1999) et les disciples ont pu venir au Bost lui rendre un dernier hommage.

Sont également inclus dans cette catégorie l’enseignement religieux (catéchèse), le don au denier de l’Eglise (denier du culte), la lecture de la presse religieuse et le suivi d’émissions télévisées. Au niveau des centres, il y a aussi des enseignements délivrés aux adolescents (Vivre Libre à Dhagpo) ainsi que des systèmes de donations libres ou institués portant le nom de Norbou (tib. Joyau) et dégrévables des impôts. Les dons aux lamas se font en général directement, c’est un de leurs moyens de subsistance, qu’ils partagent, pour certains, avec d’autres membres de la communauté. Un adepte qui soutient régulièrement un lama ou un retraitant est nommé Djinda. En ce qui concerne les médias, le journal qui est lu régulièrement est « Bouddhisme Actualité » diffusé par l’UBF, au même titre que Pèlerin Magazine pour les catholiques. Ensuite, chaque centre aura ses propres éditoriaux. La télévision offre également de nombreuses émissions (Ho Ling, 2001) dont Voix Bouddhiste est la plus connue.

Les cérémonies initiatiques et les rituels

Les initiations et des rituels étaient à l’origine, en France, beaucoup plus profonds et intimes que des bénédictions et des liants sociaux permettant à l’individu de prendre sa place dans le groupe, aux niveaux biologique, comportemental et émotionnel (Cyrulnick, 2000). De nos jours, pourquoi l’aspect social des rituels, disparu peu à peu dans nos sociétés occidentalisées, devrait-il être réintroduit ? La dé-symbolisation programmée de nos espaces de vie devrait-elle être compensée par une re-symbolisation uniformisée et socialisante ?

Nous sommes bien éloignés tant du sens profond que des symboles qui permettaient de se lier à des mondes non-perçus à partir d’éléments perçus. C’est là que nous devons faire la différence entre le social qui est l’aspect mondain des choses et le spirituel. De nombreux adeptes rencontrés ne semblent pas tous aller au-delà de l’aspect social des rituels, qui ne sont pas tous avec tsok (offrande de nourriture), bien évidemment. Selon certains, « c’est un long travail qui se fait avec le temps, l’engagement dans la pratique et les prises de conscience ». La quête d’authenticité de la transmission se retrouve, pour une partie des adeptes, au niveau de la participation aux rituels. Peut-être perçoivent-ils que la communion avec les symboles leur donne la force nécessaire à la poursuite de leur quête. Mais si l’on réduit le rituel de sa symbolique, la réunion qui devient pseudo-intellectuelle, n’est elle pas alors vidée de toute sa substance ?

  • « Catholique du signe » et « bouddhiste du signe »

Le catholique du signe est caractérisé par sa participation aux pèlerinages, son attrait pour les personnes dites « saintes » (Saint-¨Père) ou la manière avec laquelle il perpétue la religion dite populaire. L’expression de la foi religieuse peut aussi se manifester en dehors du cadre de la paroisse, de sa cohérence et de la communauté qui s’y rattache. C’est la démarche « du signe » et de l’insolite qui s’exprime par les cultes aux saints ou à la Vierge et par des efforts de déplacement parfois accompagnés de visites touristiques. Ces pèlerinages sont la manifestation la plus fréquente de la religion dite populaire. Ce sont des pratiques courantes et courues de tous. Le pèlerinage introduit cette chaleur des grandes marches collectives et des grands rassemblements rompant l’isolement des pratiques individuelles. C’est le signe visible d’une foi qui anime les foules.

En France, chez les jeunes générations principalement issues des systèmes urbains, la transmission de la mémoire des lieux, à l’exception des sites guerriers ou révolutionnaires, a été perdue, si ce n’est à Lourdes ou dans quelques lieux similaires catholicisés, récupérés voire déviés par la culture d’un patrimoine normalisé et historiquement lissé (Carnac, Mont Saint-Michel, Saint-Émilion). Il convient de reconquérir ces notions, voire de créer de nouveaux lieux de mémoire, en consacrant spirituellement certains sites puis en instaurant des flux dynamiques de populations vers ces derniers. C’est autour de tels lieux que naîtront les territoires sacrés, les « cercles de vie »  (Racine, 1993).

Les lieux de rassemblement ne sont pas choisis au hasard. Outre l’aspect géomantique que nous ne développerons pas dans cet article, il en existe de deux sortes. Tout d’abord ceux qui, dotés d’une symbolique forte et de nos jours largement orchestrée, conservent le succès de l’affluence en attirant les pèlerins de tous pays. Lors des visites de personnes gratifiées de sainteté (Mère Thérésa, Dalaï-Lama, Karmapa…) ils drainent une foule immense[45]. Ce sont d’importants facteurs de mobilité chez ces fidèles. Il semblerait toutefois que les adeptes qui s’y déplacent ne soient pas uniquement motivés par la pratique religieuse. Nous avons noté parmi eux de nombreux membres des KTT et de certains groupes de dharma les côtoyant sans se mélanger, de nombreux VIP, sponsors et organisateurs de ces visites. Ces versions grand-public, qui remplissent les caisses des centres ou des associations organisatrices, se doublent souvent de versions plus intimes, l’information étant diffusée par l’animation de réseaux d’adeptes, sur une aire géographique restreinte, via le téléphone ou internet ; ces rassemblements[46] sont eux, remplis de fidèles convaincus. Très discrets, ils sont assez fréquents sur le territoire.

Nous retrouvons les inventaires des lieux sacrés développés dans les travaux classiques de géographie sur le territoire français. Sur les lieux de culte inventoriés se pratiquent des rites de protection ou de prières au saint guérisseur très éloignés du culte des hommes saints. Si vénérations et prières dans les pèlerinages sont des attitudes reconnues et encouragées par l’Eglise, ces cultes-là sont tacitement moins admis : le clergé catholique s’en accommode, sans pour autant les reconnaître, bien que les archevêques nomment des prêtres exorcistes. Ce ne sont pas toujours les pratiquants qui dans les églises allument les cierges auprès de ces Saints-là (Sainte Rita, Saint-For, Saint-Expédit). Ces exemples dont les signes et les symboles traduisent les croyances sont très profondément ancrés dans toutes les régions de France. Cet aspect de la religion populaire relève de populations « mal formées et encadrées » (Bertrand, 1997). C’est sans doute pour cela qu’au niveau officiel des pratiques bouddhistes, bien qu’existants, ils sont complètement niés et occultés. Le cadrage est ici uniforme et univoque.

S’il n’y a pas encore sur le territoire français de lieux bouddhistes sacrés comme les grottes de Padmasambhava au Sikkim, il existe plusieurs sites consacrés où des Maîtres tantriques ont vécu (Fig. 2). Ils sont à nouveau bénis ainsi que leurs résidents, par chaque Maître tibétain qui passe dans la région, mais cela, de façon intime.

En poursuivant notre logique d’effet de lieu, nous remarquons que tous les types de personnes sont présentes lors de ces grandes manifestations : des pèlerins qui viennent sur les lieux par dévotion, aux touristes spectateurs plus ou moins indifférents qui pratiquent une forme de pèlerinage sécularisée ou inconsciente. Le pèlerin enrichit la puissance d’un lieu sacré par ses dévotions, il participe à la qualité du lieu. Se rendre sur un lieu sacré en touriste, c’est appauvrir la charge du lieu. « Le facteur principal d’un pèlerinage est l’intention ». Les cas de « ferveurs religieuses » contribueraient à la « re-sacralisation de la Terre » (Sheldrake, 2001). Ces lieux possèdent de multiples impacts sur l’être humain. Socialisants et psychologiques sur un plan relatif, ils tissent aussi un lien cosmique, sur le plan de l’intime du corps et de l’esprit dans ses multiples dimensions. Le pèlerinage bouddhiste aurait peut-être dans le futur un rôle non négligeable à jouer, cette étude devra être approfondie.

  • Du « nouveau paroissien » au pratiquant bouddhiste

Situé à l’autre extrémité du champ de la religion le nouveau paroissien est engagé, il a pris ses responsabilités dans la communauté. Alliant ses côtés fraternels à son sens de l’autorité et du sacré, il souhaiterait substituer à la perte du sens religieux engendré par la modernité une nouvelle cohérence religieuse en harmonie avec le monde d’aujourd’hui. Il agit au sein de mouvements trans-paroissiaux et l’on pourrait dans notre cas le comparer aux laïcs responsables des KTT. Il s’implique au sein d’associations caritatives, le secours catholique chez les uns, plusieurs associations bouddhistes ici  qui se regroupent sous l’appellation « Echanges et Action »[47].

Cet engagement sur base de volontariat du catho-militant est commun à beaucoup d’actifs pragmatiques ou de priants communautaires qui appartiennent au noyau dur des communautés paroissiales et qui maintiennent même en l’absence de prêtre la vie de la paroisse. Ils forment les ensembles cohérents de « communautés-relais » que les actuelles réorganisations des paroisses suscitent. Une autre caractéristique du nouveau paroissien est l’étude et la prière qui permettent à la communauté spirituelle de retrouver son sens. Si les Eglises sont vides, ces communautés priantes et agissantes se multiplient. Le bouddhisme, cheminant de façon similaire sur le territoire français, se situe bien dans cette logique de réseaux humains qui touche également d’autres mouvances de recherches socio-spirituelles. Nous y retrouvons ces personnages-types, éléments α, soutenant de multiples structures.

fig 7 bitphénomènes structurateurs de l’espace : les KTT

Ces centres, pourraient être les noyaux précurseurs d’un nouveau type de paroisses, avec lama attitré, au sein des Pays qui sont en train de voir le jour sur notre territoire. Les adeptes y font des pratiques formelles de groupe[48]. Certains d’entre-eux, engagés dans la formation d’un territoire bouddhiste, en lien avec de nombreux  lamas occidentaux, incitent les adeptes à rester dans ces structures pour l’étude (Mi-Tch’os) : actuellement les enseignements à domicile sont donnés par des lamas qui s’y déplacent, depuis les centres-mère, environ cinq fois par an. Si leur présence sur l’espace français peut avoir pour certains un lien structurant et socialisant, notamment par des pratiques hebdomadaires de rituels simplifiés, elle permet également aux lamas occidentaux et tibétains de donner des enseignements sous forme de stages ou de « pratique méditative », d’assurer des conférences publiques et de tisser divers liens locaux. Nous sommes quelque peu perplexes devant l’actuelle scénographie communicationnelle (Diémes, 2004) de ces centres : à l’origine ils auraient été créés par « la volonté des adeptes », ne pouvant se déplacer régulièrement et désirant et faire connaître le bouddhisme autour d’eux. Si cela est vrai pour quelques uns, ce n’est pas la majorité[49]. Ces structures ont plus de vingt ans mais n’ayant pas toutes des statuts bien élaborés, il n’en reste que peu de traces, d’autant que certaines ont connu bien des vicissitudes[50].

En s’accroissant le phénomène social de « fréquentation élective » et de « niches amicales » pourrait dans le futur, favoriser, par refus de l’imposé, la naissance de Groupes de Dharma supplémentaires, (souplement noyautés ou bien délaissés par les lamas) afin de conforter les publics de « la participation associative ». Les adeptes lus ou rencontrés rejoignent A. Touraine qui souligne le rejet de l’intrusion uniformisante des institutions religieuses, idéologiques ou politiques. A ce titre, nous avons constaté un fonctionnement très variable au sein des centres, avec souvent des « noyaux de pratiquants » liés par ailleurs dans la sphère privée. Il faudrait ajouter à cela l’effet de lieu, car d’un site à l’autre leur fréquentation est chaotique.

Parfois des « retraites de groupes » dans des centres-mères sont organisées par ces structures. Nous sommes ici dans une logique de « lien-social » coiffée par un lien d’ordre religieux plus difficile à percevoir. C’est l’épaisseur des relations interpersonnelles où se mêlent vie sociale, vie mondaine et vie religieuse, dans un travail de groupe encore une fois prôné par les psy. Il servira de base de pratique et de réflexion au groupe pour l’année à venir et aidera à la survie financière des centres, grâce à des donations, car les tarifs très raisonnables des centres d’accueil sont adaptés aux revenus des stagiaires. Les analyses médiologiques de Philippe Simonnot (2008) s’appliqueraient-elles dans notre contexte ?

C’est à redouter. Certains adeptes souhaiteraient recevoir des enseignements différents, surtout quant ils pratiquent régulièrement. Nous retrouvons là l’inadéquation des enseignements des lamas à un public français de niveau supérieur. Il existe depuis de nombreuses années au Tibet comme en Inde des ouvrages dans le langage des sciences (physique, astronomie, neurosciences, cognition…) abordant les diverses méditations, à divers stades. Ils sont diffusés entre autre, dans de nombreux centres de formation de lamas et de tulkous. Qui a intérêt, en France, à maintenir les adeptes dans l’obscurantisme ? Y aurait-il concurrence avec les égrégores se partageant l’espace ? Oserait-on imaginer une nouvelle forme d’Inquisition  au XXIe siècle ?

Nous allons, là, pénétrer la quatrième et dernière catégorie de bouddhistes assimilables aux questeurs catholiques ou autres. Qu’il s’agisse du christianisme ou du bouddhisme, on assiste dans nos pays post-modernes à ce que l’on pourrait appeler une « montée du mysticisme ».

Montée de la dimension mystique

Les abbayes et les monastères accueillent de plus en plus de catholiques de ce renouveau contemporain. « Les ordres contemplatifs recrutent »[51] et de nouvelles formes d’expérience religieuse se mettent en place, celles où le vécu religieux subjectif se substitue aux expressions de la doctrine institutionnelle. Sur l’ensemble du territoire nous assistons ainsi à la montée d’une spiritualité vécue autrement, de façon plus profonde, plus personnelle et intime. Ces engagements sous formes individuelles dans le catholicisme existent de manière très discrète car ces « chercheurs d’absolu » tendent vers le mysticisme. Seulement en « Occident », le mystique est souvent suspectée de se tenir à l’écart de l’autorité religieuse officielle : on  donne volontiers de lui l’image d’un être marginal inquiétant car il ébranle par son discernement les optiques rassurantes et on attend sa mort pour le récupérer en toute tranquillité » [52]. En Orient, au sein des diverses métaphysiques et religions, le « délivré vivant » n’est pas un personnage suspect, on l’entoure de vénération et d’estime, on lui demande des conseils, on vient chercher auprès de lui sa propre délivrance (Davy, 1996).Dans le christianisme, si les ordres religieux représentent un mode de vie séparé partiellement ou totalement du monde, ils ont cependant toujours conservé une place aux laïcs que ceux-ci collaborent au travail du monastère ou qu’ils s’inspirent seulement de sa spiritualité. Le terme d’ « oblats » désignait jadis les enfants que leurs familles offraient au service de Dieu comme futurs moines ou les adultes qui choisissaient de se donner à l’intérieur du monastère, sans toutefois y prononcer des vœux. Puis apparurent pour les adultes, les « oblatures séculières » chez les Bénédictins, auxquelles on peut assimiler les Tiers-Ordres séculiers Franciscains et Dominicains.

Le lien essentiellement spirituel que ces fidèles entretiennent avec l’abbaye ou le courant auquel ils sont rattachés est « personnel » et souvent « secret ou tout au moins discret », d’autant plus caché que l’ordre est plus contemplatif et donc plus retiré. Ces institutions que l’on aurait pu croire périmées ont subi une éclipse mais n’ont pas disparu (Rouvillois, 1999). Elles se développent aussi auprès d’instituts religieux nouveaux où elles apparaissent à la fois plus visibles et plus souples. Elles acceptent des types de liens divers avec l’ordre régulier et peuvent comporter des formes de groupements entre laïcs. Les ordres religieux présentent donc un double aspect de rattachement d’église : celui des réguliers constituant l’ordre et celui des laïcs séculiers qui se lient à lui. La description des formations n’est pas sans évoquer celle que nous avons pu observer dans les centres de retraite bouddhistes, avec des périodes d’études et des périodes de solitude et de silence auprès d’un ermite bénédictin (formation à la vie monastique à Lérins, Alpes-Maritimes) ; les personnes qui effectuent cette démarche sont soutenues matériellement par des « amis laïcs » et « des liens spirituels sont ainsi tissés » ce qui est similaire à ce qui se passe lors des retraites de longue durée, dans les lignées du bouddhisme. Les activités de ces personnes rayonnent sur un réseau mondial suite à une formation de l’intelligence mais aussi de la personne à la lumière des trois sagesses que sont la sagesse philosophique, la sagesse théologique et la sagesse mystique à laquelle sont ordonnées les deux premières (Rouvinois, 1999). Les frères laïcs, une fois formés, dispensent à l’extérieur des enseignements à des publics très divers, animent des « retraites spirituelles » dialoguent dans le monde de l’art, de la médecine de l’entreprise, de l’éducation… ce qui se rapprochent des activités que l’on retrouve à Dhagpo Kagyu Ling et qui se prolongent par les séminaires variés. L’oblat choisit « un père spirituel » dans la communauté où il fait des « retraites guidées » ; il peut être femme ou homme, marié ou célibataire.

Nous sommes sur une voie très similaire au niveau des formations séculières données par les lamas dans le contexte bouddhiste, où il y a une attraction très forte pour le Bost[53], qui avant que l’ermitage pour laïcs actuel n’existe, recevait les adeptes en retraite, dans le monastère même. Ce lieu est entièrement construit en respect des critères du Feng Shui religieux. De plus ce centre est proche des centres de longues retraites (droupkangs), où des pratiques spirituelles ont lieu sans interruptions.

Que signifient de telles démarches ?

Cette expérience du bouddhisme tibétain tantrique, impossible à être reproduite volontairement, par sa profondeur et son importance va aboutir à un changement conséquent en ouvrant les portes de l’irrationnel. En son cœur, la pratique qui ne rejette aucun moyen, aucune situation pour purifier le disciple est vécue comme un travail continue, sans attentes, ni espoirs, ni craintes excessifs : c’est très déstabilisant (Potier, 2000). D’où le besoin pour le chercheur, comme dans toutes les démarches spirituelles de cet ordre de trouver des maîtres et des méthodes pour le guider à travers les métaphysiques et les formes religieuses répondant à son option personnelle (Davy, 1996). Les plus engagés parmi les bouddhistes feront des retraites de quelques semaines, quelques mois ou quelques années comme la traditionnelle retraite de trois ans trois mois et trois jours. A l’issue de cette dernière, ils pourront réintégrer une vie laïque ou garder une vie monastique. Dans les deux cas, ils auront des activités en lien avec le Dharma. Les catholiques et les chrétiens que nous y avons rencontrés recherchent cette intériorisation très profonde de la spiritualité en fréquentant ces centres de retraite bouddhistes. Le sens de la retraite est d’avoir l’esprit et le corps libres, en sécurité, pour pénétrer la nature-même de cet esprit et accéder à des dimensions oubliées. Les personnes avancées sur cette voie comparent l’atteinte de l’Eveil au « terme d’un long voyage »[54].

Du Lama à l’ami spirituel 

Les pratiquants désirant approfondir le chemin spirituel s’en remettent à un lama qui sera leur guide spirituel de la même manière qu’un père chez les catholiques[55]. Le mot « lama » est souvent mal compris et mal employé. Il convient donc de s’y arrêter. Les lamas actuels en Europe comme au Tibet sont des ritual master, moines ou laïcs (Berzin, 2000). Bien que ces lamas soient entraînés aux méditations, ils n’ont pas nécessairement achevé leur développement spirituel. Chez les tibétains, de tels lamas sont reconnus comme des prêtres de village. Ils voyagent de village en village et effectuent les rituels pour les individus dans leurs maisons. A l’origine la définition du Lama (skt : Guru) est différente et possède de puissantes connotations subtiles.

Dans notre contexte, le lama occidental a effectué une ou deux retraites de trois ans. Il a approfondi l’expérience de la voie spirituelle en recevant la transmission complète des aspects de la tradition (Kaguypa, Nyingmapa, etc.) dont il a mis plusieurs en pratique. Il a développé une expérience intérieure personnelle grâce à son Maître de retraite le vajra acharya (Karmapa par exemple) qui lui a donné les initiations profondes. Ces retraites sont guidées par les droupens européens qui donnent les transmissions rituelles (Lama Guendune ou Kalou Rinpoché à l’origine étaient des Lama au sens profond du terme). L’apprenti lama développe ainsi des samaya  profonds, ayant reçu la transmission des réalisations du Maître de la lignée.

Un individu peut travailler seul auprès d’un maître. Celui-ci alors lui transmettra un enseignement très profond (qui peut durer des semaines ou des mois) ; il donnera un tri, partiel ou complet suivant les capacités de son disciple, c’est-à-dire toutes les explications détaillées correspondantes à l’initiation reçue (explication des textes avec mot à mot, des visualisations en détail, les torma (offrandes rituelles), les techniques yogiques, le symbolisme etc..).Toute cette transmission est accompagnée bien sûr d’un lung c’est-à-dire de la permission d’utiliser le(s) texte(s) en question, la façon de les réciter (avec les notations musicales etc.) et accomplir tous les rituels correspondants. Le wang, pouvoir de faire la pratique à plusieurs degrés lui sera aussi donné lors de rituels d’initiations intimes. Le samaya (tib. dam tshig, lien, engagement) qui en résulte induit pour le disciple de ne pas se couper de cette pratique précise. L’utilisation du terme samaya est souvent employée d’une façon erronée visant à fidéliser les disciples. Préserver ou rompre un samaya dans le vajrayãna est d’ordre personnel, intime et secret. Si quelques individus reçoivent ensemble ce type de transmission auprès d’un même maître, ils sont réunis dans un même cercle et liés à travers cette transmission un peu comme des frères et sœurs ; certains appellent cela aussi un mandala, ce qui n’est pas exact. La mauvaise compréhension de la valeur d’un tel cercle peut entraîner un rejet des autres, jugés comme extérieurs ou étrangers.

Le bouddhisme vajrayãna a ainsi une place à prendre à différents degrés du renouveau religieux actuel. Encore faudrait-il qu’il soit enseigné et que les moyens de le pratiquer soient donnés aux adeptes. Cette quête d’authenticité, au sens de la transmission spirituelle, engendre une mobilité accrue de la part de ce type de ces chercheurs[56]. Si à ce niveau, la présence des Maîtres tibétains influe de façon certaine, elle est à considérer non sur des notions d’exotisme dont nous avons démontré tant le non-fondement que la manipulation, mais sur plusieurs aspects. D’un point de vue scientifique l’inégalité des êtres humains devant les compréhensions tant intellectuelles que profondes sont évidentes. Si l’on se réfère aux travaux de Francisco J. Varela (2002), son approche de la cognition prend pour point de départ des agents incarnés et situés. Il a proposé le terme d’énaction[57] pour la caractériser précisément. Il existe donc des différences non négligeables entre les adeptes qui prennent en compte les effets de lieux du territoire en les intégrant au niveau de l’inscription corporelle de l’esprit. Le tantra décrit lui aussi, avec précision, des modes de fonctionnement alternatifs du psychisme, différents des processus cognitifs qui nous sont familiers (Stril-Rever, 2000). Au niveau des champs morphiques en biophysique chaque individu possède un champ morpho-génétique qui perdure après la mort (Bousquet, 2000). Il contient de nombreuses informations qui seront retransmises d’incarnation en incarnation, d’où une explication scientifique à la notion de karma. Ces mémoires sont réactivées par des évènements extérieurs et la connexion avec un Maître donc un champ informationnel permettra au disciple la concrétisation d’un savoir qui sera pour lui évident. Nous voyons émerger à l’écoute des enseignements de ces Maîtres tibétains, un bouddhisme vajrayãna, qui n’a rien de social.

Quant à la compréhension de ce que les textes nomment des « vagues de dons » (djinlab) ou bénédictions, d’un point de vue scientifique, les Maîtres ont la capacité de concentrer et de transmettre aux disciples des vibrations émanant de champs de conscience très purs : Ce sont les tulkous réels qui supportent toute la lignée sur le plan spirituel. Ils ont depuis l’enfance, des années de méditations et des transmissions très profondes. Si l’on supprime ces Maîtres tibétains, les grandes bénédictions s’épuiseront et nous tomberons dans la médiocrité. Ces énergies ne perdurent que par les pratiques spirituelles, sinon elles se perdent et seuls les Maîtres authentiques sont capables de les redonner. Le bouddhisme populaire selon les transmissions du mahayãna a pour base les notions et les transmissions externes, tandis qu’après avoir pris des engagements sérieux auprès d’un Maître, les transmissions internes et secrètes sont données sur la base de la motivation et de l’esprit d’ouverture du disciple, de ses qualités d’esprit et de cœur.

La pratique intensive semble être capitale pour près de 10 % des adeptes rencontrés sur les centres ouverts à un large public. Il est certain que ce nombre restreint ne reflète pas la réalité de la demande, mais un public se déplaçant pour être en contact avec ces Maîtres. Il témoigne de ce phénomène se gravant dans l’espace très ponctuellement et très discrètement.

Les espaces occupés par les bouddhistes en France sont comparables à ceux décrits pour l’église catholique. Il ne faut y voir qu’une corrélation culturelle et non un quelconque syncrétisme que feraient les adeptes. Cette comparaison doit être comprise sur le fond de culture judéo-chrétienne de nos pays européens, L’humanisme n’a-t-il pas chaussé les pénates de l’Eglise à ce niveau là ?

Transposés dans une logique de « Dzong » tibétain qui incluraient l’ensemble des associations caritatives ou environnementales et les ONG qui leur sont liées, les centres permettent de mettre en évidence une maîtrise de l’espace par le biais de la religion bouddhiste. Actuellement nous assistons à la naissance d’un territoire bouddhiste, dans une logique d’église, parfaitement adaptée aux habitudes culturelles des français. Cela correspond-il aux souhaits du XVIe Karmapa ?

Il ne semble pas si l’on s’en réfère aux témoignages des anciens. Qui plus ait ces tactiques duplicatives ne permettent ni la fidélisation des adeptes, ni celle des premiers pratiquants liés aux Maîtres tibétains et ce, qu’ils vivent ou non à proximité des centres. Les jeunes générations ne sont pas non plus interpellées sur la durée : enfants de la « génération 68 » ils ont peut-être hérité, par transmission, d’une forme l’allergie cléricale et moraliste, surtout s’ils ne sont pas passés du col Mao au Rothary (Turpin, 2003).

6°/ – Des facteurs attractifs transposables

L’évolution actuelle de la société est caractérisée à la fois par la continuation d’une demande de liberté dans la vie privée et par la montée d’une demande de règles dans la vie collective et sociale. La demande d’autorité pourrait en partie être transférée subtilement sur l’encadrement religieux. Le bouddhisme est perçu au niveau de la sphère privée. Par le fait, il n’a aucune place affichée au niveau du pouvoir, ce qui serait d’ailleurs rejeté comme ce fut le cas pour l’église catholique. S’il s’est positionné comme la quatrième religion au niveau de l’Etat français avec près de 700 000 adeptes (toutes voies et tous publics confondus), il est pour les adeptes français une voie spirituelle, tandis que la sphère sociale, régulée par ailleurs, est le théâtre d’un bouddhisme sécularisé, au niveau de la psychothérapie, de la gestion d’entreprise ou de l’action sociale.

La population n’a plus confiance dans ses institutions, en particulier l’Etat et la Justice (Bréchon, 2000). Elle prend également son indépendance vis-à-vis des médias. D’où l’importance, au niveau des sphères de pouvoir, d’un redéploiement du religieux sur un mode différent, permettant de canaliser les énergies dans une société qui tend vers la fragmentation et l’autorégulation des individus. Cela ne devrait pas se traduire au niveau du territoire par des navettes de plus en plus fréquentes vers les centres car les pouvoirs publics se proposent à l’avenir d’aider à la construction de lieux de culte et au financement des annexes (Sarkozy, 2004). La puissance publique préfère les cartels religieux durables aux groupes multiples incontrôlables et quasi-clandestins (Simonnot, 2008). D’où les politiques concordataires tant avec l’Islam en France qu’avec le bouddhisme (Liogier, 2002). L’UBE et l’UBF semblent jouer ce rôle centralisateur. Cela pourrait conduire, comme en Amérique à bien des dérives spirituelles (K. el Adji, 2003).

L’introduction du bouddhisme sur les territoires, au niveau mondial, se fait de nos jours tant par la sensibilisation des adeptes sur le plan de l’environnement et des causes humanitaires que par le biais de la sphère domestique. Cocktail d’épanouissement personnel et de citoyenneté planétaire (Liogier, 2004), cette religion-là, bien éloignée de sa dimension originelle, semble être le parfait support de moult réseaux financiers internationaux (Zizek, 2005). Les auteurs ont donné quelques exemples d’instrumentalisation qui vont dans le sens actuel et dévié du développement durable, qui reposant sur l’économie, le social et l’environnement, ne trouve aucun écho auprès des populations de divers pays, en l’absence de la culture, incluant le religieux. Interrogeons-nous sur ce qui a motivé les lamas français à partir implanter des centres et des Temples en Amérique du Sud. Est-ce une requête des paysans sans terre ?  Une demande de ceux qui se battent actuellement contre les grands exploitants et les OGM de Monsanto (Robin, 2008) ? Une supplique des indiens qui voient jour après jour reculer la forêt amazonienne au profit de ces grandes exploitations ? Ces implantations religieuses sont déjà la préoccupation de plusieurs géographes de terrain.

Un autre pôle de réflexion se situe quand le responsable du centre nous avoue n’avoir aucun contact avec les religions africaines. Comment est-ce possible quand on sait qu’un fils de famille, d’origine peule, diplômé universitaire a fait deux retraites de trois ans au Bost avant de devenir son secrétaire particulier ? Où est-il actuellement ? Comment se fait-il que les radios des centres urbains de certains pays d’Afrique diffusent continuellement des appels aux religions chrétiennes et bouddhistes ? Cette politique de diffusion, étudiée sur le terrain par des chercheurs autochtones, fait s’élever bien des questionnement sur la finalité des liens entre les pays émergeants et les lamas français, américains et autres.

Les préoccupations écologiques (K. el Adji, 2001) sont au cœur du débat. D’ailleurs, la WWF montre un grand intérêt pour les religions et pour le bouddhisme en particulier (Bachelor, Brown, 1992). Dans ces relations basées sur l’éthique, la structure espère toucher un public nouveau,  puisque quatre à cinq milliards de personnes sont adeptes d’une religion. A travers les communautés religieuses, le WWF peut donc sensibiliser aux enjeux écologiques un public qui va bien au-delà de ses cinq millions de donateurs actuels à travers le monde[58].

Ainsi, le 15 novembre 2000, à Katmandou, le WWF dévoilait 26 “cadeaux sacrés pour une planète vivante”, dont le rétablissement de l’interdiction totale de la chasse sur les sites sacrés, en Mongolie, par les leaders bouddhistes, pour ″aider à la protection de plusieurs espèces gravement menacées″. En France, une rencontre “Religions et environnement” fit suite au sommet de Katmandou, les 11 et 12 octobre 2001, au monastère chrétien de Solan dans le Gard. Tant le monastère de Kundreul Ling (le Bost, en Auvergne) que le bouddhisme zen y étaient représentés. De leurs exposés, lors de ces rencontres, plusieurs points ont émergé quant à l’utilisation du bouddhisme en rapport à l’environnement. Ce colloque fut suivi en avril 2003 d’une nouvelle rencontre “Ecologie et Spiritualités”dans un lieu hautement symbolique, l’abbaye du Mont-Saint-Michel.

La dernière rencontre enregistrée entre le WWF et les religions, s’est tenue du 2 au 4 octobre 2004 à Karma Ling, centre Kagyupa de Savoie. Les points forts de la thématique de recherche étaient « la dimension spirituelle de l’écologie et la dimension écologique des traditions spirituelles ». Le titre « Vers un ré-enchantement du monde » avec des emprunts à G. Beateson tels « l’écologie de l’esprit » prouvent un sens certain de la communication. Mais le prix d’accès à ce colloque était très dissuasif[59]. Il existe un réseau mondial et de multiples sous-réseaux dans ces domaines, qui nous laissent dubitative quant aux finalités de ces rencontres, se déroulant toujours en lien avec l’UBF. La WWF pourrait-elle, par hypothèse, faire passer ses projets de prise de possession des territoires par le biais du religieux ? En contre partie, les structures organisatrices seraient-elles gratifiées de quelques subsides via les programmes alimentaires « bio », la construction écologique ou encore les stages de feng-shui ?

Il semble que la déclaration du professeur Strong[60], au sujet de l’évolution du centre de Dhagpo Kagyu Ling en septembre 1976, au château de Chaban (Dordogne) fasse des émules.

WWF co-finance actuellement avec Danone, la Banque HSBC (Hong Kong and Shangaï Banking Corporation) et la Commission Mékong, « les Ambassadeurs des zones humides 2004 » qui ont pour mission de suivre le Mékong de sa source, au Tibet, à son embouchure, au Viet Nam où il se jette dans la mer de la Chine du Sud. Cette initiative du WWF-Chine[61] est prise dans le cadre de la convention Ramsar (bureaux à Gland, Suisse) et vise à « l’utilisation durable du fleuve et de ses ressources ». L’échec du projet d’aménagement du Mékong (1957-1997), où des intérêts financiers colossaux sont en cause (Lacroze, 1998) nous laisse perplexe quand Sogyal Rinpoché[62] (centres à Paris et dans le midi) s’intéressant à ce projet[63], évoque “la conciliation de la sagesse tibétaine et de la Commission du Mékong“, qui a pris le relais du Comité International du Mékong. Les propos du Dalaï-Lama[64] sont très clairs quant à la sacralité des eaux et des montagnes au niveau du Bouddhisme (Meyer, 1987) et de l’équilibre de l’humanité. On peut comprendre dès lors les oppositions qui ont pu se produire au niveau des projets de développement. Dans cette hypothèse, les querelles entre les rinpochés et les tulkous tibétains plus ou moins alimentées de l’extérieur, pourraient être les fruits de certaines sphères de développement (Ziémer, 1998). Sachant d’autant plus que les présidents de l’ONG-WWF sont soit des princes de la famille royale anglaise, soit d’anciens responsables de groupes pétroliers (Brunel, 2005), ce sujet de géopolitique serait passionnant à approfondir. Il déborde le cadre de notre recherche. En faisant abstraction ici des terres fertiles et des espaces minéraliers fort riches en charbon, pétrole, chromite, uranium et cuivre (Guébourg, 2005), nous sommes interpellés par l’objectif de « l’Initiative Himalaya » d’inscrire deux cents nouveaux sites Ramsar dans ces zones d’ici cinq ans : Qu’adviendra-t-il des populations tibétaines et des monastères du Kham et de l’Amdo si des réserves intégrales sont décidées sur ces espaces ? Ceci bien-sûr, pour la protection de l’environnement et la promotion du développement durable, et ceci en accord avec la Chine …

La bioéthique serait-elle, ici encore, via le bouddhisme, une porte ouverte à une forme d’ingérence scientifique totalitaire ?

La culture plurielle présentée dans la nouvelle encyclopédie de bioéthique (Hottois et Missa, 2001) s’articule autour de deux axes qui caractérisent notre civilisation en voie de mondialisation. Le premier se situe au niveau de la recherche et du développement technoscientifique qui nécessitent l’acquisition et la mise à jour régulière d’une culture scientifique et technique : elle forme la condition de possibilité d’un rapport aux sciences et aux techniques qui soit informé, libre vigilant et critique, un rapport qui ne serait pas crispé ou angoissé du fait de l’incompréhension et du sentiment que cela se passe au-dessus de la tête des citoyens. Le second est le multiculturalisme, soient la diversité des traditions, histoires, mentalités, croyances, visions du monde et morales, qui co-constituent nos sociétés, à l’image de l’Europe, et plus encore de la planète. C’est cette diversité, avec son potentiel conflictuel, qui explique la majeure partie des problèmes de bio-éthiques. Il est donc aussi indispensable d’acquérir et de propager une sorte de métaculture que la culture scientifico-technique. C’est la clef d’une compréhension respectueuse de l’autre, de l’étranger moral, clef d’une possibilité de dialoguer avec l’autre et de résoudre les différends d’une manière intelligente, non violente. Le bouddhisme, tradition universelle pourrait-il influer de façon positive et durable sur cet axe si délicat ?

Certainement, puisque l’UBF, « a été consulté » par le Centre de recherche interdisciplinaire en bioéthique de l’Université libre de Bruxelles[65] pour participer à la rédaction de l’édition de sa fameuse “encyclopédie critique de la bioéthique“ (2000).

L’UBF a participé également à la consultation des représentants des grands courants religieux et intellectuels français sur la médecine des catastrophes, sous l’égide du Conseil de l’Europe. Le document de synthèse, « La santé face aux droits de l’homme, à l’éthique et aux valeurs morales » [66] (Gantois, 2001) est publié en plusieurs langues. Le nouveau président de l’UBF, Pierre Crépon, est présent depuis quelques années dans ces groupes de recherche. Quels en sont les enjeux ? Il serait intéressant de pousser plus loin ce débat qui sort du cadre de cette recherche[67].

Si un écosystème est constitué par l’ensemble des populations biologiques et l’environnement physique auquel elles sont associées, notons que ses compartiments biotiques et abiotiques sont reliés par des flux cycliques de matière et d’énergie. Le milieu physique affecte la structure et les caractéristiques des populations qui, à leur tour ont des effets sur le milieu (Bergandi, 2001) y compris au niveau de l’esprit (Strong, 1976). La loi de cause à effet, que nous retrouvons dans le bouddhisme est incontournable et sans frontières. Ainsi, le caractère à la fois pluraliste et pluridisciplinaire des recherches scientifiques, est-il conduit dans le domaine de la bioéthique, à accorder plus d’importance à l’économie ou à la politologie, ainsi qu’à l’expression directe du pluralisme sous la forme d’une série considérable d’entrées concernant les religions et les éthiques. D’autres problématiques dont l’importance n’a cessé de croître sont devenues prépondérantes : l’environnement, la génétique et à un degré moindre, l’informatique (Hottois, 2001).Au sein de ces démarches scientifiques, sur fond de bioéthique, le bouddhisme, vecteur de la sacralité des espaces, s’il était bien conduit pourrait s’avérer un des atouts majeurs. Ces lois millénaires qui nous régissent tels la géomancie (Charmasson, 1980) ou le feng-shui sont appliquées dans d’autres pays (Altman, 2000). Elles devraient avoir un rôle clef dans la mise en place des gouvernances de nos sociétés, si les pouvoirs en place voulaient respecter tant la planète que ses habitants. Ont-elles une signification pour les différents publics rencontrés ?

Oui. Les femmes, majoritaires sur les centres bouddhistes, ont une approche allant dans ce sens. Les dernières études montrent que les hommes sont plus enclins à accepter les projets d’équipements et beaucoup moins concernés par les problèmes de bio-éthique (Fagot-Largeault, Acot, 2000)[68]. A la demande de préserver l’environnement en acceptant un ralentissement de la croissance, les femmes ont répondu majoritairement. (Cautrès, Mayer, 2004). Encore une fois, le hasard a voulu qu’elles soient quasi absentes des débats décisifs.

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Figure 4 : Synchronies entre la diffusion du bouddhisme et l’introduction des gouvernances

Le bouddhisme à l’horizontale qui se profile dans ce type de récupérations a fait couler beaucoup d’encre, notamment dans les milieux de la recherche scientifique. Porteur de tant de richesses pour l’humanité, il serait à craindre qu’il en arrive à être totalement instrumentalisé. D’autant qu’après le vote de la loi sur la laïcité, en janvier 2004, à laquelle P. Crépon s’est montré particulièrement favorable, la propagation des centres s’est vue accélérée. Les exemples ne manquent pas. Citons ici deux synchronismes, pris au hasard qui pourrait fort aller dans ce sens.

Le clientélisme électoral, dans les petites communes de Dordogne où tous les bouddhistes y compris les lamas votent, se double d’une stratégie d’union religieuse qui se répercute tant au niveau des élus que de la population. Dans la logique d’élaboration du contrat de Pays, il avait été noté, comme frein à la cohésion du territoire, le refus de réhabiliter les églises sur ces cantons. Depuis quelques années, des rencontres œcuméniques ont lieu et les lamas occidentaux, sous la conduite de Lama Jigmé Rinpoché fréquentent les églises catholiques, ce qui draine une population de remplissage qui peut justifier la réhabilitation des bâtiments pour diverses raisons, sécurité ou autres. Ces investissements, lus sur une échelle électorale, flattent aussi les gens qui votent à droite car en règle générale ils sont messianisants. Enfin, dans la logique actuelle du dialogue inter-religieux, les prêtres catholiques s’engouffrent au cœur de cette mouvance pouvant redorer leur blason, ce qui est paradoxal si l’on se remémore le contexte dans les années 1970, d’une population autochtone « anti-curaille » et d’églises désaffectées. Qui plus est, cette attitude est difficilement compréhensible au niveau des enjeux inhérents au recrutement de nouveaux adeptes : seulement 12 % des populations qui fréquentent le centre bouddhiste sont engagées dans le catholicisme et peuvent tout au plus se réjouir des liens ainsi créer. Au niveau du territoire, nous y décelons le souci d’une bonne harmonisation locale dans un contexte politico-économique évident. Quant à la logique spirituelle, s’il en est, elle nous dépasse ici. Pourquoi au printemps 2003, à Saint-Léon, y a-t-il eu une messe dirigée par l’Evêque Dom Robert Le Gall (abbé bénédictin avant son engagement pro-bouddhiste) avec le curé de la paroisse de Montignac ? Lama Jigmé Rinpoché était présent ainsi que tous les lamas du centre, les bouddhistes venant prendre la communion.

Les centres bouddhistes, aujourd’hui, font partie du paysage local. La Charte du Pays Périgord Noir, approuvée par le conseil régional d’Aquitaine le 28 novembre 2003, axée essentiellement sur la communication, joue en cette faveur. Dans la rubrique du diagnostic de cette dernière, nous avons noté, parmi les sept traits de caractéristiques du Pays : « Il véhicule des valeurs culturelles refuges face aux difficultés et déficiences des modes de vie actuels ; le maintien de ces valeurs mais aussi la capacité à inventer un avenir pour un territoire au riche passé sont déterminants“. Quelles sont-elles ? Nous n’avons pas pu obtenir de réponse.

La cohésion religieuse a pu être constatée par le sous-Préfet de Sarlat (Le Préfet de Dordogne était excusé), en juillet 2004, lors de la cérémonie d’accueil du XVIIe Karmapa, en présence de Monseigneur Mouisse, Evêque de Périgueux, du père Jean-Marie Bourron, Vicaire épiscopal et du père Jean-Louis Favard, responsable du centre Notre-Dame de Temniac, pôle de réflexion et d’animation du dialogue inter-religieux, dans le département et dans la région. Lors de cette visite grandiose, les moines danseurs du monastère de Zimtchoung (Sikkim) avaient été conviés, ainsi que les parents du Karmapa, la sangha française au grand complet et des rinpochés tibétains. Cette parfaite orchestration a assurément servi d’élément positif à l’approbation du Contrat de Pays par le Conseil Régional d’Aquitaine le 20 décembre 2004. N’oublions pas qu’un Pays doit être démocratiquement constaté et non décrété par une Préfecture. Si au Tibet le rôle des Lamas est assez flou, il en est de même chez nous. Que se passe t-il en Bourgogne ou dans d’autres régions dans les rapports administratifs des centres à la Région ?

Cela resterait à déterminer bien évidemment avant de conclure.

Le second synchronisme à mettre en exergue est la place du bouddhisme dans la recomposition de la société au cœur des espaces. L’implantation des centres-mères sur le territoire s’est faite avec une certaine dispersion : les structures des deux Karmapas ne s’y côtoient que partiellement, tout comme les différentes écoles. Dans l’évolution de ces espaces, une heureuse coïncidence est observable entre les mouvements géographiques de populations françaises migrantes et l’ouverture de plusieurs centres bouddhistes, en Ile de France puis dans le Sud-Est et en Dordogne, en un premier temps.

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Figure 5 : Synchronisme entre les migrations de populations et l’ouverture des antennes

Il faut rajouter ici toutes les structures implantées depuis plus de vingt ans par les autres lignées du bouddhisme indo-tibétain, notamment dans le Midi. La figure 3, représentant les centres actuellement officialisés, en donne une petite idée. N’oublions pas non plus les centres Kagyupa reliés au Karmapa Orgyen Trinley, la première division du territoire français s’étant produite à la fin des années 1970 (Guérineau, 2007).

Cette synchronie existe également  entre l’adoption de la Loi Pasqua, le quatre février 1995, sur le schéma régional d’aménagement et de développement du territoire et la reconnaissance officielle entre 1994 et 1996, de cinq congrégations religieuses bouddhistes de plus, une nouvelle fois, sous un gouvernement d’alternance. Elles comprenaient des centres reliés aux deux Karmapas ainsi qu’au Dalaï-Lama. Ces antennes locales officiellement présentes dans soixante dix sept départements jouent un rôle de niche identitaire pour les adeptes en quête de repères. Il est possible que le ministre, auquel l’on doit la reconnaissance officielle de la première congrégation bouddhiste en France, en ait été fort conscient. Aurait-il pu inscrire sa démarche dans une stratégie d’aménagement territorial ? Afin de canaliser les migrants en quête de repères ?

Actuellement avec les logiques migratoires des campagnes vivantes, vers le Grand Ouest, nous assistons à la fortification des centres Aquitains, de façon plus ou moins laïques, et à la création de centres en Normandie et en Bretagne, les emprises territoriales existants depuis plusieurs décennies.

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Tableau 2 : Provenance des adhérents

Notre tableau porte sur le lien entre le lieu d’origine des adhérents et celui dans lequel ils résident. Nous constatons qu’à peine plus d’un quart des adhérents du centre habite son département de naissance. Les brassages de populations dus aux forts courants migratoires de ces dernières années, induisent souvent des difficultés d’intégration des individus dans les régions d’accueil. Sans faire un cours de biologie, notons de surcroît que les inscriptions génétiques issues de l’adaptation depuis plusieurs générations des individus à un environnement donné se trouvent perturbées, ce que l’on pourrait comprendre au travers d’une lecture correcte des notions d’appartenances ethniques, liées aux l’appartenances territoriales des populations sédentarisées. Par une fréquentation régulière du centre, ils tentent de se retrouver des repères au sein d’une niche identitaire, dans l’adoration d’un même totem, qu’il soit affectif, intellectuel ou existentiel.

Une autre synchronie apparaît entre la publication des ouvrages sur les deux Karmapas, les visites sur le territoire français et en Europe du Karmapa Trinley Thayé Dordjé, début 2000 et la publication de la loi Voynet le 25 juin 1999. Elle induisait le développement durable (agenda 21), les « contrats de plan » permettant la mise en place de politique structurante territoriale et de programmes régionaux de développement coordonnés. Nous avons enregistré dès 1996, la création officielle des diverses associations liées au bouddhisme en France et au Tibet, allant dans ce sens. Doit-on voir dans ce contexte, au niveau du territoire, une tentative d’instrumentalisation du bouddhisme à des fins de développement local dans une logique étatique de projet de territoire et de développement global ?

Les parallèles sont troublants. Il est difficile de l’affirmer, notre étude du phénomène se situant au niveau de l’infra-géographie. Il conviendrait d’observer si les autres centres ont présenté le même type d’émergences associatives. Au niveau spirituel, la construction d’un Pays (beyül). prend une autre dimension et suit une autre logique, celle du « sacré ». Où sont les points de rencontre entre ces deux enjeux majeurs ? Notre étude est ici à compléter.

          Quant aux aspects financiers des centres, dont les clefs administratives sont rarement entre les mains des tibétains, nous ne les avons pas décrits, laissant ce soin aux économistes. Nous pouvons toutefois affirmer qu’il est plus difficile d’en retrouver les pistes que de démêler des rastas. Sur le terrain, les anciens s’accordent à évoquer des sommes venant de centaines de donateurs dont l’avioniste Dornier ou l’industriel Kraft, ceci de l’arrivée à la mort des Maîtres tibétains. Ils évoquent aussi tous les satellites ayant gravité en ces lieux : trafiquants d’armes, réseaux mafieux, barbouzes, rapatriés, etc. Et puisque tout lieu de culte, même la plus humble cure peut être considérée comme une sorte de derrick planté là pour tirer, si possible, le maximum de la « part bénie » qu’il y a dans la richesse de chacun, même chez le plus démuni (Simonnot, 2008) pourquoi n’y a-t-il pas en Dordogne autant de temples bouddhistes que d’Eglises ?

Il semble qu’ici l’argent ait été un grand voyageur, à l’image de l’esprit. Si les marchands investissent toujours les Temples, leurs tabliers se retrouvent au sein d’associations diverses et variées qui apparaissent et disparaissent au grès de l’horloger cosmique. Ainsi, en 1975, tous les sponsors étaient très riches B. Benson, B. Lebeau…les vrais disciples étant en majorité des hippies ou des asociaux qui construisaient les centres. Ces disciples de la première heure, qu’ils aient été pharmaciens ou marginaux, auraient tout donné « aux tibétains » y compris au niveau financier. Qui est propriétaire des centres ? Où sont passés tous ces biens ? Il fallait vivre, mais financièrement cela n’explique pas tout, les nouveaux arrivants ayant commencé à produire sur les terres comme en témoignent les journaux et les documents de l’époque. Au début, certaines constructions ont été financées par ces dons, mais malgré tout ces riches donateurs, pourquoi appelait-on les résidents du centre les mendiants ?

Il est assez paradoxal de voir sous la façade des richissimes sponsors les conditions de vie précaires des Lamas tibétains. Benson avait donné les terres et Gérard Godet[69], les maisons et beaucoup d’argent. Les lamas n’avaient rien. Les gens autour leur amenaient à manger ! Ils avaient récupéré des matelas chez Emmaüs, c’était la pauvreté. Il n’y avait pas là de tourisme spirituel. Tout a été récupéré au début des années 1980 (Un ancien, 2004). Est-ce pour cela, toujours d’après les anciens, que lorsque le permis de construire du temple fut enfin accepté sur la côte de Jord, en 1982, il n’y avait plus un sou vaillant ? Le temps de rassembler les fonds, le délais légal de ce permis aurait été dépassé ; il n’a pas été renouvelé… Tous les documents officiels étant aussi de grands voyageurs, nous laisserons aux seuls initiés le soin de la poursuite des recherches.

De nos jours si ces anciens ne se rendent plus sur les centres, il y a toujours de nouveaux adeptes prêts à tous les sacrifices pour « sauver leur âme ». Mais attention, la concurrence est rude au niveau de l’appel d’offre pour les classes moyennes visées §

7°/ – Profil socio-géographique des adeptes                                                           

L’individualisme, base de tous les conformismes est en forte hausse dans nos sociétés. Lié au manque de repères des individus, il donne naissance à des problèmes croissants dont la  montée de la violence (Cyrulnick, 2000) et la quête de niche identitaire (Bréchon, 2000). D’autre part, les individus majoritaires sur le centre appartiennent aux classes intermédiaires formant le noyau central du libéralisme culturel (Grunberg et Schweisguth, 1983) : large partie de nos sociétés difficilement canalisable. Le bouddhisme, version adaptée, serait-il pressenti pour jouer ici un rôle régulateur ?

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*** Dans les statistiques utilisées, ne sont pas inclus les membres du clergé, les policiers et les militaires (aucun n’ayant répondu à notre questionnaire), les chômeurs n’ayant jamais travaillé (tableau PT04, enquête emploi de mars 2002 INSEE).
Tableau 3 : Répartition des adhérents à DKL selon leur indice de libéralisme culturel

La forte présence des catégories socio-professionnelles, appartenant plus aux professions intermédiaires (professeurs, infirmières entre autres professions intellectuelles) qu’aux cadres supérieurs est flagrante. Elles présentent des caractéristiques idéologiques typiques d’un « noyau central » (Bosc, 2001) se distinguant par un taux élevé de “libéralisme culturel”, ce qui est lisible dans leurs témoignages.

L’image donnée par Bourdieu d’une petite bourgeoisie, globalement dépendante et conformiste, est ici remise en cause. On assiste depuis quelques années au sein des couches moyennes salariées, à la constitution de groupes possédant une identité propre et à l’émergence d’acteurs sociaux autonomes. Si le petit bourgeois de Bourdieu intériorise et respecte les principes traditionnels de hiérarchie, d’autorité et de mérite, le salarié type de Schweisguth (1983) conteste le pouvoir de ses supérieurs au nom de son propre savoir, ne répugne pas à l’action collective, reconnaît le bien-fondé de l’institution syndicale et se montre critique à l’égard de l’idéologie méritocratique. Est-ce là le changement évoqué par le coatch Leblanc-Halmos -relié au centre tibétain- quant aux modifications de comportement observées depuis une quinzaine d’années ?

L’évolution de ces couches moyennes, depuis les années 1970, s’est traduite par un changement politique sensible, indissociable de leur adhésion au “libéralisme culturel”, c’est-à-dire à un ensemble de valeurs anti-autoritaires centrées sur les notions de liberté et d’épanouissement individuels, sans être pour autant contradictoires avec les valeurs de défense et de promotion collective des salariés. Ce profil correspond aux témoignages recueillis, quant aux désirs d’épanouissement et surtout de liberté dans une pratique spirituelle, sans dogme à admettre. Le rôle et le poids dans la société française de ces couches moyennes, fortement représentées dans la fréquentation des centres bouddhistes, ne cesse d’augmenter. D’après G. Grunberg et E. Schweisguth, elles ont forgé leur “identité idéologique” en réalisant une synthèse originale entre les valeurs de la gauche traditionnelle et celles du libéralisme culturel. Elles ont ainsi élaboré différents schémas idéologiques et généré une “identité sociale”, sans avoir reçu l’appellation de classe sociale ; cela nous rappelle le monde ouvrier actuel (qui commence à faire son apparition sur le centre) et ses contours flous. Ces “noyaux innovateurs” (Mendras, 1988) de la “constellation centrale” possèdent une identité spécifique qui leur confère une capacité d’action autonome, flagrante sur la scène politique. Bidou (1984) a mis en évidence, il y a une vingtaine d’années, la sensibilité culturelle de certaines fractions des classes moyennes liées à l’Etat providence : professions intermédiaires dans les domaines de la formation, de la santé, des loisirs. Privilégiant les valeurs anti-autoritaires, développant une éthique de l’autonomie, de l’initiative personnelle, elles investissent une grande part de leur énergie dans l’animation locale, l’aménagement du cadre de vie, l’action associative et municipale. Ce modèle culturel pourrait s’étendre aux techniciens, aux ingénieurs, aux spécialistes de l’information et de la communication.

Ces analyses sont contemporaines du développement du bouddhisme indo-tibétain en France dans les années 1980, de la création des centres et des dates des premières retraites traditionnelles de trois ans. Il semble y avoir ici un lien très important, car si l’on cherche toujours le bouddhisme dans les classes supérieures, dont le rôle a été indéniable, on a tendance à oublier tous ces acteurs de la genèse du territoire, que l’on pourrait qualifier de seconde vague. Ce sont eux qui font tourner les centres de nos jours. Si nous regardons la figure 6, nous constatons que les âges des visiteurs les plus représentés, 35 à 56 ans correspondent aux publics qui avaient à cette époque entre 20 et 30 ans, et qui sont plus que jamais marqués par le libéralisme culturel.

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Figure 6 : Pyramide des âges

La vision bouddhiste du monde offre cette vision intermédiaire, en accord parfait avec cette couche de population, qui le décrit comme une incomparable voie de développement personnel dans le contexte de la relation à l’autre sur les  plans tant personnel que professionnel, que social.

  • Des croyances libres d’accès

Les  pratiques bouddhistes, par leur aspect individuel (autel et pratique au domicile) et leur caractère de « non-obligation » vont dans le sens de la société actuelle ; nous avons constaté une fréquentation du centre étudié à 69,9 % individuelle. Il n’y a pas concurrence de recrutement, le catholicisme revêtant chez ces adeptes un aspect essentiellement culturel. Quant aux pratiquants, ils ne supportent plus ni les dogmes, ni les perpétuelles tricheries de l’Eglise catholique. Ils ont eu pour beaucoup soit des approches du corps par les arts martiaux, soit des approches méditatives par le biais du yoga ou de l’hindouisme, soit par des contacts avec d’autres voies spirituelles.

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Figure 7 : Provenance religieuse et philosophique des adeptes du bouddhisme indo-tibétain

Chez les « sans-religion », majoritaires dans notre contexte, la poussée des croyances comme celle à « l’après-mort » est enregistrée. Cette donnée, pas réellement significative d’un point de vue religieux, nous semble évidente à la lecture des vulgarisations scientifiques sur les expériences d’état de mort imminente (EMI)[72]. Elle renforce cependant la crédibilité des enseignements bouddhistes évoquant cette notion de transmigration de même que la notion de karma que nous pourrions approfondir dans les domaines très poussés de la biophysique. Lambert (2000) a montré la remonté des croyances dites religieuses, entre 1981 et 1999, pour l’ensemble de la population française, et principalement chez les « sans-religion » majoritaires dans notre enquête. Dans la société française, on passe d’un état où, dans un contexte de rationalisme et d’anticléricalisme, « être sans religion signifiait être athée », à une situation dans laquelle l’Eglise ayant elle-même abandonné ses prétentions hégémoniques, les croyances dites catholiques sont en quelque sorte « dés-étiquetées, libres à l’emploi ». Du coup par rapport à l’ensemble de l’échantillon, la pratique des sans-religions  augmente.

Un autre fait émergent des travaux d’Yves Lambert (2000), est la nette remontée, surtout chez les jeunes, de l’attachement « aux cérémonies religieuses ». Quête de symbolisme ? Quête de socialisation dans une société déritualisée ? Les valeurs dominantes chez ces jeunes générations s’accompagnent d’un lissage de la rupture religieuse instaurée par la génération du baby-boom. Les jeunes sont peu représentés sur les centres. Il semble que les enseignements donnés ne soient adaptés qu’à ceux dont le niveau culturel est inférieur ou égal au bac (50% à 80% des adhérents – cohorte 18-35 ans – résident en Dordogne). S’ils viennent sur le centre, les autres ne récidivent pas l’expérience. Les jeunes semblent plus favorables à l’exploration, plus ouverts à « la liberté d’expression » et au « multi-culturalisme ». La particularité socio-démographique de ce « croire » toutes religions confondues est marquée par une sur-représentation féminine, 70 % des effectifs dans notre contexte. Nous reviendrons sur cette donnée.

  • Des populations en quêtes de repères

Nous devons rajouter au profil des adeptes celui de la culture urbaine. En effet, près des trois quart (72,6%) résident en zone urbaine, chiffre comparable à la population française (Insee, 1999). De nombreuses études sur le mal-être urbain ont été réalisées en sociologie. D’après les statistiques sur 2,6 milliards d’hommes qui verront le jour d’ici à 2010, 88 % seront citadins (Racine, 1993). Nous pouvons développer ce mal-être dans l’espace urbain sous trois angles : celui de l’écologie humaine, celui de la genèse des villes et celui de la nécessité du religieux dans la durée de vie de ces dernières, compte tenu de la mise en place des développements actuels. En 2003, n’oublions pas que les trente sept KTT sont présentés dans les programmes comme des « antennes urbaines de DKL »(Dhagpo Kagyu Ling) et par le fait, situés au cœur des villes. D’autres existent dans de nombreuses villes européennes.

Bien que plus de la moitié des adeptes aient découvert le bouddhisme par le biais de lectures, d’arts martiaux (ou yogas) ou de thérapeutes divers, notons que les recrutements vers le centre, se font majoritairement par voie amicale (47%) et par voie professionnelle ou relationnelle (29,2%) (journées – cohésion organisées pour les chefs d’entreprise et cadres, en lien avec le bouddhisme de tradition tibétaine depuis déjà deux décennies ; séminaires organisés pour des consultants en entreprises…). Le tissu familial intervient chez les individus moins développés culturellement, les ouvriers par exemple, où des enfants font de nos jours, découvrir le bouddhisme à leurs parents. Les choses se sont inversées. Ces agrégations au sein de l’espace où les femmes paraissent plus actives que les hommes sont confirmées par la cartographie des fichiers d’adhérents à l’association gérant le centre (figure 8). Que ce soit par des amis, des sports ou autres, les adeptes semblent entraînés vers cette spiritualité, qu’ils ont rarement découvert lors des conférences publiques, dans les villes. Les responsables des médias ont bien compris qu’une diffusion massive serait à l’inverse de l’effet escompté ou d’un recrutement au sein du public ciblé. La rareté de l’information est la règle sur le territoire, exception faite toutefois d’Internet, où elle est triée, sélectionnée voire re-fabriquée ou censurée.

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Figure 8 : Répartition des adhérents au centre de Dordogne Dhagpo Kagyu Ling par commune

 

Lecture du fait urbain en écologie humaine

L’écologie humaine peut être considérée comme une sorte de biologie périphérique où l’organisation d’un milieu et d’un habitat structure les informations sensorielles telles que l’espace, le bruit, la lumière, les stimulations émotives et les rythmes chronobiologiques. L’urbanisation représente assurément un objet fabriqué par les « anciens » qui impose aux enfants ses circuits de développement. En deux siècles d’artifices, l’homme a fabriqué le milieu qui le façonne. La ville, comme les périurbains, pourrait se résumer à tout un univers de clans, dans lequel la fièvre affective mène pour ses extrêmes, à la détresse ou à la tribu. Ceux qui ne peuvent pas intégrer une « bande » parce qu’ils préfèrent la paix des villages ou le silence des beaux quartiers, parce qu’ils ne souhaitent pas cette régression archaïque ou parce qu’ils n’y arrivent pas, souffrent encore plus. Au cœur des villes, ceux qui sont « schizophrènes »[73] (qui ont tant de mal à dire bonjour) sont chassés des lieux de la compétition sociale et attirés par une forme de socialisation primitive, ritualisée (Cyrulnick, 2000). Ce public est majoritaire sur le centre où, avec la souffrance comme l’un des thèmes principaux des enseignements, les adeptes peuvent retrouver le rituel et le sens du rituel, ce qui avait été étudié par l’UBE dès le début de l’installation des centres bouddhistes.

Quand la culture, qui inclut la religion, n’imprègne plus le monde interhumain, les rituels du clan préservent un peu l’affectivité archaïque. Alors, ceux qui s’aiment s’unissent dans la haine, juste avant la déritualisation totale où le « chacun pour soi » pulvérise ce qui reste de société. Cela aboutit à un individualisme forcené avec rupture des liens sociaux, donc montée de la violence. Actuellement, une forme de culture est réinjectée en force dans nos sociétés, avec pour les cadres des maisons de retraites, des centres sociaux et des maisons des jeunes, des « objectifs à atteindre » en termes de taux de remplissages des sorties dites culturelles et des fêtes organisées ; les enfants des écoles, quant à eux, sont sensibilisés par des intervenants extérieurs sur les pistes de l’éco-citoyenneté et du développement durable. Cela ne suffit pas à rétablir un contrat social.

La première description de société déritualisée a été faite chez les Iks peuple de chasseurs nomades qui vivait dans le sud-ouest de l’Ouganda. Les Iks ont été déportés dans une belle région avec des pensions du gouvernement. Ils avaient tout pour être heureux. Mais sans projet, et sans histoire, ils ont perdu leur liant social et en quelques mois ont transformé leurs rapports en heurts violents. Elle aboutit à la destruction brutale non seulement du genre de vie menée mais aussi de la responsabilisation des individus au sein d’une société (Turnbull, 1972)[74]. Dans une telle dérive, le clan prend alors la valeur d’un progrès relatif, d’un « sauve qui peut » pour les bandes d’enfants abandonnés à la rue par exemple, où les petits rituels d’agrégation prennent forme. Quand le groupe s’agrandit, un nombre croissant d’individus ne respecte plus les rituels de base, parce que le nombre en dilue les informations sensorielles et en diminue la force unifiante. On assiste alors à l’individualisation de sous-groupes qui gardent un rituel commun avec le groupe d’origine tout en en adoptant de nouveaux. Les KTT ou d’autres  formes de groupes, plus discrets, parfois interreligieux, tentent se jouer ce rôle structurateur dans chaque localité. Notons encore, que les groupes sociaux qui se désagrègent laissent émerger la violence alors que les petits groupes ritualisés utilisent le débat pour faire changer les mentalités et les structures sociales. Dans le cas du bouddhisme, nous avons démontré en plus les effets bénéfiques des méditations. Hors de cette violence familiale ou sociale, on assiste au sein des villes, en parallèle, à la formation d’autres sortes de groupes : de petits groupes qui permettent l’échange affectif et intellectuel. Certains se constituent en « collèges invisibles » pour faire circuler leurs idées et quelques affects, d’autres s’organisent en groupes de pression pour influencer la culture ; d’autres encore prennent la forme de groupes politiques pour prendre le pouvoir ; et les sectes utilisent cette dimension humaine pour posséder l’âme et le porte-monnaie de leurs émules (Cyrulnick, 2004). Il est certain qu’il vaille mieux une religion nouvelle et structurée qu’un ensemble de sectes incontrôlables, muleta souvent agitée par le politique devant les citoyens. Les laïcs, militants du spirituel sont pour beaucoup les chefs de file de ces groupes, après en avoir été les instigateurs. Ces développements vont de pair avec l’augmentation de l’urbanité dans nos pays post-modernes.

Le petit groupe qui se structure autour d’idées, d’actions et d’affects constitue l’organisation à une dimension humaine, où l’individu se personnalise aisément. La tribu qui groupe quelques familles, dans l’adoration d’un même totem affectif, intellectuel ou existentiel, constitue la forme la plus simple de lutte contre l’anomie (E. Durkheim). On s’y sent bien…tant qu’un autre clan ne cherche pas à vous détruire. On y retrouve l’effet tranquillisant du rituel intégrateur. Si depuis la fin des années 1970 l’UBE et l’UBF, liants entre les religieux et l’Etat ont décortiqué le bouddhisme, ils en percevaient ou en espéraient, de toute évidence, sa possible utilité dans les stratégies d’insertion sociale des individus déracinés, sans religions ni idéologies.

  • Lecture du fait urbain en géographie de la religiosité

La « ville-centre » des origines est bien un endroit magnétique dont le grand pouvoir d’attraction est la base de toute définition de la ville. L’organisation de l’espace est par le fait l’une des voies par lesquelles la conscience humaine peut saisir ou cristalliser le « sacré ». Terres saintes, lieux saints, construits de manière à refléter une réalité cosmique, et représentant donc une image spatiale microcosmique de l’infrastructure divine : Lhassa, Thèbes, La Mecque, Bénarès… les hommes d’aujourd’hui se sont donné d’autres dieux à travers la religion sociale qu’ils se sont imposée (Racine, 1975). Elle a entre autres, l’objectif de résoudre les problèmes inhérents aux conditions du développement de la ville et des systèmes urbains, et de leurs contradictions tant sociales que spatiales[75].

Se souvenir que « démocratie »[76] a pour racine grecque kratos (puissance, domination) permet une lecture des objectifs actuels de développement des villes, en opposition à celui des villes antiques (Athènes) où ni pouvoir, ni gouvernement n’était conçu, sur un plan horizontal. Or, L’homme est libéré des liens qui le ligotaient au sacré, guérit de ses erreurs symboliques, inséré dans les pratiques du temps (Racine, 1993). Plus que jamais, avec la décentralisation, s’impose la vision de l’espace de la démocratie dont la mise en scène est ancrée dans le désir de ville et dans la genèse de ces « Pays », territoires du futur, politiquement désirables, souhaitables et cohérents.

L’urbanisme authentique suppose des discontinuités sociales et spatiales, une structuration hiérarchique de la vie sociale, la délimitation d’un centre occupé par les principales zones sacrées groupées autour d’un sanctuaire, et des bâtiments ayant une fonction collective et publique. La genèse urbaine renvoie à un « surplus » social exploitable par une autorité car la notion de densité de population n’est pas une pré-condition pour une économie organisée. C’est le point d’enracinement du pouvoir (Duby, 1980) de contrôler les hommes et l’espace (Racine, 1993). C’est donc dans la ville capitaliste que s’exprime et se lit le plus directement le mal-être humain, c’est en son sein que se nouent les systèmes de forces et les contradictions qui influencent et interpellent notre vie quotidienne et notre culture. Il y a de nos jours, un réel questionnement, au niveau de l’évolution de ces espaces. N’est-ce pas là qu’une spiritualité authentique devrait se faire entendre ? Nous avons noté qu’en 2002, près des trois quarts des adhérents à DKL vivent dans un espace urbain. Ce mal-être évoqué par les différents auteurs est donc bien réel et les individus présents dans les centres se reportent sur le bouddhisme, en partie, à cause de cela. Pourquoi en sont-ils arrivés là ?

Outre l’aspect du phénomène migratoire conduisant les individus à se couper de leurs racines, Michel Foucault (1975) avait dénoncé le commencement du « grand enfermement » comme préfiguration des sociétés totalitaires modernes. Dans une démocratie réelle, selon Karl Jaspers, le pouvoir doit tendre vers zéro. Qu’en est-il ? Surveillance et contrôle social, ordre garanti et société sécurisée d’une manière insidieuse, par l’habitude et le règne du règlement et du code qui pensent pour nous et nous conduisent « nulle part » si ce n’est au « mal-être urbain » d’un monde utopique[77]. Il semble que l’urbanisation tende plus à susciter des besoins qu’à répondre aux aspirations profondes et réelles des individus. Avons-nous besoin de ces méga-structures ? Il ne semble pas (Ragon, 1980). Lorsque ces individus se délocalisent, qu’emmènent-ils dans leurs bagages ? Quelles traces a laissé le formatage urbain qu’ils ont vécu depuis des années ? La question du rapport de la ville au sacré serait-elle évacuée par la modernité urbaine et son étalement spatial ?

Depuis deux générations, notre société est devenue urbaine, et la ville, le territoire de la vie quotidienne, est le principal miroir où se reflètent les hommes d’aujourd’hui. Les villes ont joué un rôle déterminant dans la formation de nos sociétés policées, leur structuration et leur dynamique. Les habitants des villes sont différents : habitat, travail, loisirs, qu’ils appartiennent ou non à des groupes sociaux. Leur attitude envers les mouvements religieux, a été observée tant par le F. Houtard (1968) et J. Remy (1982) de l’université de Louvain-la-Neuve que par R. Campiche (1978) de l’université de Lausanne. Si certaines formes de dévotion religieuse ont disparu, on observe des formes plus conscientes, volontaires et actives de participation dans les milieux urbains. Les églises s’enracinent dans l’espace et s’implantent dans le cadre bâti (Racine, 1993). Le développement du bouddhisme indo-tibétain en France suit cette nouvelle logique d’église en offrant au niveau des villes, une diversité de structures, en accord avec les sensibilités des individus, adeptes ou politiques. L’UBF quant à elle, chaperonne l’ensemble de cette organisation territoriale[78]. L’adhésion au bouddhisme induit pour ses adeptes, le développement de pratiques spécifiques tendant à modifier et à réinventer les façons d’être, au plan individuel, comme au plan de « l’être-en-groupe », à toutes les échelles du contexte urbain, qu’il soit local, régional ou mondial.

8°/ – Qui sont les femmes ?      

Les organisations religieuses ont toujours figuré en bonne place parmi les agents de socialisation et le rôle de la femme, de la mère est souvent assimilé à celui de la transmission, de la continuité du message et de sa diffusion.

Dans les années 1960, la participation au culte (détenu par les hommes) était réservée aux femmes. On retrouve en Allemagne l’image de la femme selon les 3K (Kinder, Küche, Kirche), les enfants, la cuisine et l’église ainsi que dans la culture anglo-saxonne les 3C (Care, Children, Church). (Campiche, 1996). Le rôle féminin n’a pas une simple portée locale, ainsi l’homme était chargé du pain du ménage, de gérer les relations au monde extérieur et la femme de l’éducation des enfants, des tâches ménagères et des relations familiales. L’idée d’une modernité rééquilibrée, même si elle est loin d’être réalisée, ne peut être écartée, d’autant plus qu’elle inspire déjà de nouvelles représentations des relations femmes-religion. Quels rôles jouent ces femmes dans la diffusion du bouddhisme dans l’espace français ? Quelles sont leurs motivations ? Pourquoi s’impliquent-elles dans les réseaux de propagation de cette religion ?

Les femmes rencontrées sont en majorité très éloignées de quelques croyances mystiques ou idéologiques ainsi que de l’appel à l’exotisme représenté par la robe des lamas, par exemple. Leurs approches de la spiritualité sont pragmatiques et très concrètes, ce qui détermine en partie leur engagement. De la nécessité de pratiquer la méditation pour être plus efficace en soins holistiques à une alternative pour certaines chrétiennes qui s’ouvrent à une dimension intérieure plus profonde, plus expliquée de la spiritualité (après avoir longtemps pratiqué la méditation transcendantale). Elles déplorent pour beaucoup que notre société ait perdu sa vérité et sa tradition orale, et que l’on soit obligé d’aller vers d’autres cieux. Dans les années à venir le bouddhisme pourrait occuper, selon elles, une place dans le retour vers la spiritualité et le lien avec les autres, en corrélation avec d’autres courants de pensée minoritaires tel l’anthroposophie.

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Figure 9 : Yéshé Tsogyal (ye shes mtsho rgyal)
Compagne et disciple de padma sambhava. Xylo extrait d’une série « the nyingma icons »
de 94 xylographes, publiés dans la revue Kailash (Kathmandu), vol. III, n° 4, 1975, (figure n° 31)
  • Des femmes actives et intellectuelles

Ce sont des femmes actives (97%) qui adhèrent au bouddhisme. Le changement des mentalités, à partir des années 1960, dans tous les pays du monde libéral, a impliqué des modifications de la place des femmes dans la société, phénomène influençant la nuptialité, la fécondité, le modèle familial, les aspirations des femmes à avoir une activité, parfois une carrière professionnelle. En 1999, 46 % des actifs sont des femmes ce qui entraîne la féminisation de branches d’activité comme l’éducation, la santé et les activités de caractère social, (respectivement 68 %, 74 %, et 77 %, selon la moyenne nationale). Nous rejoignons ici les secteurs d’activité principaux des adeptes. Quel rapport ces femmes ont-elles avec le bouddhisme ?

Pour la majorité, elles perçoivent le bouddhisme comme un phénomène pluri-dimensionnel, allant de la déclaration d’appartenance à une organisation, de type identitaire, passant de l’intensité du sentiment religieux et l’adhésion à un système de croyances, de comportements sociaux (praxis, rituels de groupe…), à l’engagement dans une activité de type caritatif, telle l’Ecole dans le Ciel[79] ou dans les actions humanitaires vers le Tibet, comme la fondation Tharjay dont Béru Khyentsé Rinpoché est à l’origine. Cela, sans omettre les techniques méditatives, non données par les autres religions. Ce n’est cependant pas le seul aspect à considérer, devant la profondeur de certains engagements féminins tel celui de la Présidente du groupe de Dharma Kendra, à Cannes. Elles peuvent vivre aussi un engagement beaucoup plus profond par le biais de retraites.

Lors de l’arrivée des premiers lamas tibétains en Europe, dans les années 1970, les femmes ont joué un rôle important tant au niveau de l’accueil du XVIe Karmapa et de Kalou Rinpoché[80] que des donations pour la réalisation de nombreux centres en France et dans le monde (Rumteck par exemple). En parallèle, le ministère clérical a été adapté de façon différente entre les églises protestantes qui ont choisi d’adjoindre des forces féminines à leur corps pastoral et l’église catholique qui adoptait au nom de la tradition et de la définition du sacerdoce, une attitude de refus à l’égard de l’ordination des femmes[81]. Ces données ont-elles eu une incidence sur la baisse de fréquentation des églises ? Il semble que nos jours les femmes ne soient disposées à accepter ni ces ségrégations, ni pour les catholiques, des croyances fatiguées de deux millénaires d’interprétations sclérosantes.

Un public féminin de haut-niveau

La population féminine se déplaçant vers le centre possède un niveau d’instruction bien supérieur à celui de la moyenne nationale. Seulement 19,6 % des adhérentes ont un niveau inférieur au Bac, alors que ce pourcentage est de 53,7 % dans la population française (INSEE 1999), 21% ont un niveau Bac (15,7 % dans la population française), 17,6  % un niveau Bac+2 (15,3 %), 41,7 % (dont 11 % ≥ masters) un niveau supérieur (12,6 %) Nous devons coupler cette donnée au niveau élevé des participantes tant culturellement que socio-professionnellement.

Les enseignements donnés sur le centre présentent la lignée Karma Kagyu comme une lignée de pratique, qui repose en grande partie sur les méditations et la confiance envers les amis spirituels, la compréhension intellectuelle se faisant en parallèle de l’évolution et non en amont. Nous citerons deux exemples recueillis sur le centre ; ils sont assez explicites car tout en reconnaissant au bouddhisme tantrique sa profondeur et l’utilité de sa propagation, ils montrent que les femmes ne sont pas dupes quant aux transmissions reçues.

Tout d’abord, celui d’une jeune femme (cohorte 26-35), issue d’une grande école, exerçant son activité professionnelle dans le secteur relations humaines en entreprise ; elle pense que le bouddhisme vajrayana est à la fois en danger de disparition avec des ruptures, des manques de transmission suffisamment vastes et profondes (les occidentaux doivent prendre le relais des tibétains) et en même temps son bel essor est un facteur considérable de prise de conscience pour l’équilibre du pays et des personnes.

Citons ensuite le témoignage d’une physicienne (cohorte 46-55) développant par ailleurs sa spiritualité. Chercheur en physique, spécialisée dans le domaine des hautes énergies, elle n’acceptait pas le niveau trop faible de la traduction, lors des enseignements donnés par Togden Rinpoche[82]: C’est inconcevable, elle (la traductrice) ne traduit pas la moitié de ce qui est dit…on perd son temps… de qui se moque t-on ?

Les lamas dépositaires de la transmission, vont devoir soit intégrer ces données, soit enseigner une vulgate à un public de paroissiennes du dimanche.

Si l’ensemble des participants loue certains  traducteurs (un chercheur du CNRS pour Beru Khyentsé[83]) pour leur précision, il n’en est pas de même pour les lamas occidentaux qui les disent trop compliqués et qui les auraient traduit beaucoup plus simplement. Ils prétendent que contrairement à ce qui est réalisé dans la lignée Guélougpa, l’enseignement doit être soit postérieur soit corrélé à la pratique méditative, qui elle va permettre la réalisation de l’enseignement, c’est à dire son intégration en profondeur autrement que sur une simple compréhension intellectuelle. Cette logique simplificatrice s’oppose à celle des visiteurs, des femmes en majorité, qui, lors de la venue de ces vénérables Maîtres, aspirent à des traductions non simplifiées. Nous sommes dans une société du livre et des médias, et nos adhérentes ont un niveau intellectuel plus élevé que la moyenne des Français, donc une exigence qui en découle. Nous sommes également dans une société où les femmes voyagent beaucoup tant pour l’exercice de leur profession que pour la culture ou les loisirs, comme notre enquête le confirme. Qui peut affirmer en corollaire qu’elles n’ont pas quelque expérience dans le domaine spirituel ? Cela signifie qu’elles ne sont pas prêtes à tout admettre. Selon Lama Jigmé Rinpoché la pratique du Bouddhisme s’effectue sur trois pôles devant évoluer de concert : la pratique (méditations…), l’étude et la réflexion. Le problème ici est que les pratiques méditatives adéquates ne sont pas données en parallèle des enseignements des Maîtres Tibétains. Comment seront poursuivies les transmissions par ces Maîtres auprès des femmes occidentales ?

Il existe deux types d’engagements féminins à haut niveau. Le rôle de ces implications féminines dans la diffusion du Bouddhisme sur notre territoire est très important et va au-delà des chiffres recueillis. Nombreuses sont celles qui participent aux réseaux de structuration des centres sans forcément pratiquer le bouddhisme. Comment peuvent-elles alors se prononcer sur la teneur des transmissions à donner en France ? Il semble que ce facteur impliquant aussi les hommes, existe dans les autres lignées ou courants du bouddhisme indo-tibétain. Dans toutes les régions où il est implanté d’autres femmes soutiennent activement les Maîtres tibétains, certaines n’hésitant pas à faire de profondes retraites à leurs côtés jusque dans les pays himalayens, c’est une différence notable.

  • Vers une transmission sociétale 

Les influences féminines se répercutent en parallèle d’une pratique spirituelle, dans les visions d’une vie sociale en lien étroit avec le bouddhisme. Elles souhaiteraient qu’il y ait plus de rencontres avec des lamas, pour les jeunes, des camps de vacances bouddhistes, développer la philosophie à plus grande échelle, voire implanter des centres où vivent aussi des familles avec des enfants : ce modèle a été créé par une femme allemande (disciple de Lama Guendune) sur le territoire français au centre du Croiset près du monastère du Bost (Auvergne).

Les témoignages sont assez similaires à ceux déjà évoqués de façon globale : L’enseignement accessible à une vie laïque influence la société française par sa philosophie de non-violence, d’écologie et par son explication du fonctionnement humain ; il peut apporter de nouvelles éthiques sociales. Les adeptes redécouvrent, par l’approche de la voie bouddhique, des valeurs enfouies sous les nombreuses couches artificielles de nos sociétés post-modernes, telle la relation corporelle intérieur-extérieur, qui commence à ré-émerger dans une partie de nos pays ; elle est quasi évidente pour toute femme ayant mis des enfants au monde.

Si l’engagement féminin a dynamisé la diffusion du bouddhisme sur le territoire, il est cependant  susceptible de se modifier très rapidement avec la venue des nouvelles générations dont les perceptions du rôle qu’il doit jouer d’une part et les aspirations variées d’autre part, diffèrent de celles de leurs aînées. Outre le sens pouvant être donné à la vie, le sentiment d’authenticité d’un message porté par des générations de Maîtres est essentiel. Le développement actuel de cette spiritualité est lié à l’émergence de la société post-matérialiste en Europe, aux prises de consciences éthiques et environnementales dans nos sociétés, aux vides laissés par les religions traditionnelles. Il est également lié à des aspects plus profonds. Pourra t-il se poursuivre dans une logique d’église à laquelle le XVIe Karmapa, décédé en 1981, ne semblait pas favorable ?

L’adaptation au monde occidental laïque est un facteur récurent dans les témoignages de ces femmes très conscientes des malaises actuels. Ainsi, il prendra de plus en plus d’importance car il y a actuellement une perte de repères. Dans le monde occidental les valeurs les plus importantes sont matérielles et les gens aspirent à autre chose (…) Je crois que nous vivons une civilisation qui se meurt. C’est la fin d’une ère – pas seulement en France. Le témoignage de cette psycho-motricienne de l’éducation nationale, permet de percevoir le changement de cap imparable.

La constatation majeure de notre début de siècle est l’universalité du phénomène d’individualisation et de désinstitutionnalisation de la religion (Campiche, 1996). Actuellement, pour analyser le rôle de la femme dans la transmission religieuse, notons que la pratique assidue d’une religion semble avant tout héritée de celle des parents ; les enfants qui ont vu durant leur scolarité leur mère ou leur père avoir une pratique religieuse régulière ou occasionnelle ont aussi  pour la moitié d’entre eux une pratique religieuse, en tenant compte du fait qu’elle est deux fois plus importante chez les femmes (Niel, 1998).

Remarquons tout d’abord que le bouddhisme se pratiquant régulièrement au domicile, cela induit un premier marquage par rapport aux enfants, dans l’idée d’une pratique religieuse. Répondant aux critères de transmission directe aux enfants, notre enquête a dénombré près de deux fois plus de femmes que d’hommes (cohorte 26 à 45 ans) les femmes venant le plus souvent dans un contexte individuel Ce ne sont pas forcément des femmes seules phénomène actuel de société, mais soit leur compagnon n’est pas bouddhiste, soit il s’occupe des enfants. Les engagements féminins s’expliquent par l’émergence au niveau de la famille d’un « modèle partenarial » qui laisse beaucoup plus de liberté d’action aux femmes. Ce facteur contribue à l’augmentation de l’engagement individuel féminin sur la voie bouddhiste.

Une seconde remarque est l’influence que pourront avoir les jeunes grand-mères sur des petits enfants (la cohorte 46-65 enregistre 36 % de femmes contre 10,4 % d’hommes) ; sur le terrain, elles racontent comment elles expliquent le bouddhisme à leurs petits enfants curieux, les parents n’ayant pas toujours développé une pratique spirituelle. Nous avons noté également dans l’enquête INSEE que même si les individus ne pratiquent pas eux-mêmes, ils ont pour un tiers, un sentiment d’appartenance à la religion de leurs parents. Qu’en sera t-il du bouddhisme en ce XXIe siècle ?

Si nous prenons les plus jeunes adeptes (18-25 ans), nous observons un mode de recrutement essentiellement par voie amicale et par impact familial dont un quart par le vecteur mère. Tous ces jeunes venant à Dhagpo Kagyu Ling et ayant rencontré le bouddhisme par le tissu familial ont, contrairement à ceux que nous avons précédemment cités, des niveaux culturels supérieurs au Bac ; celà confirme le couplage religion et approche culturelle. Il conviendra d’observer ce phénomène embryonnaire dans la durée. A notre niveau, nous assistons à la mise en place du processus de transmission sur un mode familial, les enfants des pratiquants bouddhistes ne s’engageant pas systématiquement : chez des pratiquants bien engagés un enfant sur deux ou sur trois s’intéresse au bouddhisme, les autres demeurant « sans religion ».

  • Initiation des femmes

Le bouddhisme, souvent à l’initiative des communautés occidentales, se pose la question de la participation des femmes au culte sur un pied d’égalité avec les hommes à tous niveaux ; il connaît un renouveau d’intérêt pour les ordres religieux féminins. Ceux-ci avaient disparu de longue date dans certains pays bouddhistes comme le Tibet et la Thaïlande (O’Brien et Palmer, 2001). Pourtant, si l’on regarde l’histoire du Tibet, à l’origine, le bouddhisme a été officiellement introduit au VIIe siècle, par le roi Song Tsen Gampo, dont deux épouses étaient bouddhistes. Au VIIIe siècle, ce fut avec Padma Sambhava (Guru Rinpoché) que le bouddhisme s’y implanta ; sa principale disciple (parèdre), Yéshé Tsogyal, souveraine du Tibet, a joué un rôle capital.

Par la suite, on vit l’apparition de nombreux ordres monastiques, principalement masculins. Les nonnes ne recevaient pas les enseignements essentiels ; cette situation s’est affirmée au fil du temps alors qu’au niveau social, le Tibet vit sous un régime de polyandrie, où les femmes possèdent des terres et gèrent tout l’ordinaire. Est-ce de fait pour les hommes un moyen de se protéger ? Une étude ethnologique a été réalisée par June Campbell[84], jeune nonne et principale disciple de Kalou Rinpoché. Elle a heurté de nombreuses sensibilités masculines en haut lieu, en décrivant certaines réalités des initiations des dakinis ou en décryptant le langage symbolique des textes. Les femmes dans le secret sont engluées entre les honneurs qu’elles reçoivent, du vivant du lama, et la peur des représailles spirituelles, pas toujours visibles (mais expérimentées par plusieurs adeptes), si elles racontaient… Il faut arrêter de se voiler la face et regarder comment le rôle spirituel des femmes a été dévié de ses origines, le tantrisme indien, par les oligarchies religieuses mâles du Tibet.

L’auteur constate de grandes similitudes au sujet de l’exclusion radicale des femmes de toute initiation spirituelle profonde, entre le Tibet et certaines traditions de nos pays, et ce, en dehors du comportement aberrant de l’église catholique. Certaines catégories de personnes sont exclues des sphères philosophiques qui mènent à l’illumination, au même titre qu’elles sont exclues, au niveau monastique, dans les mécanismes élaborés des lignages de tulkous. Une femme Maître, au niveau d’une hiérarchie mixte, y pensez-vous ? La femme est réduite dans ces cas à l’état de passivité, à celui d’objet sexuel, utile tant à l’atteinte du complet éveil qu’à la procréation. Dans les tantras des origines, c’est la femme qui porte la spiritualité, recréant l’unité à partir de la dualité (Odier, 2000).

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Figure 10 : naissance des écoles du Bouddhisme indo-tibétain

Au cœur de nos contrées, ces philosophies bétonnantes sont issues des traditions de la raison et des sciences passéistes du XIXe siècle, quand l’homme a voulu dominer la nature et développer une forme de culture qui l’extrayait de l’infériorité de ce monde naturel. De nos jours, ils sont les maîtres de l’industrie, du commerce, des médias, du matérialisme. Est-il surprenant que cette notion de Maître spirituel mâle ait été accueillie à l’Ouest, avec autant d’enthousiasme ? Serait-ce une transposition de l’identité des grands maîtres de l’Ouest ? Les convertis au bouddhisme, pour échapper à l’emprise de nombre de ces maîtres matérialistes, à leurs systèmes de pouvoir destructeurs, colonisateurs d’autres cultures à des fins essentiellement personnelles, auraient-ils recherché à déléguer cette sorte d’autorité à d’autres leaders ? Ont-ils trouvé dans le système tibétain, une disposition à la perfectionner, à la rendre plus performante, en l’augmentant par des actes d’obéissance au maître (prosternations, photo du maître…) ? Qui sera dupe de la profondeur de leurs engagements sur le plan spirituel ?

Transfert d’autorité, certes, mais pourquoi les nombreux ouvrages sur le sujet, qui existent outre Manche, ne nous parviennent-ils pas ? Encore une fois en France, ils sont évacués des circuits officiels…Autre remarque, les remous en 2007 dans certains monastères, provoqués par des lamas occidentaux qui n’auraient pas respecté leurs vœux de moines. Le scandale a éclaté jusqu’en Espagne où ils enseignaient régulièrement. Après tout, n’ont-ils pas fait comme les tibétains ? Serait-ce les prémices à un grand nettoyage interne ? Pourquoi, alors que les tibétains eux-mêmes auraient décidé d’abaisser les niveaux spirituels des retraites ? Seront-ils recyclés ? Dans quels pays ? Beaucoup de questions demeurent quand à ces prises de pouvoir temporel. Au niveau spirituel, il semblerait que les prédictions de Padmasambhava commencent à se faire jour…à savoir, le transfert du bouddhisme tantrique vers l’Ouest et son rapide déclin.

Actuellement, s’il est vrai que les femmes reçoivent des transmissions plus profondes, rares sont celles qui sont à la tête de monastères en tant que Maîtres réalisés. Nous citerons deux exemples de cette évolution. Ils ont été impulsées par le XVIe Karmapa qui était selon les anciens très favorable à l’implication féminine dans les transmissions bouddhistes ainsi qu’à la laïcité des lamas. Tout d’abord nous évoquerons une européenne qui a effectué de nombreuses années de retraite et qui est devenue togdenma[85]. Ensuite, nous évoquerons Kandro Rinpoché, l’une des seules femmes reconnues comme Maître Tibétain et enseignant en Europe et aux USA.

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Photo 3 : XVIe Gyalwa Karmapa

Parcours d’une occidentale

Diane Perry, jeune anglaise originaire de Londres, fut la première occidentale ordonnée nonne à vingt-cinq ans par le XVIe Karmapa : il lui conféra la pleine ordination. Elle fit le vœu d’atteindre l’Eveil en tant que femme et passa douze années dans un ermitage (au Lahou) à plus de 4000 m. d’altitude, à la frontière Inde-Tibet[86]. Elle entreprend désormais de faire revivre un ordre de femmes Yogi, les togdenma, qui disparut du Tibet avec la Révolution Culturelle. Son maître, le VIIIe Khamtrul Rinpoché, qui l’avait nommé nonne novice, du nom de Tenzin Palmo (glorieuse détentrice de la doctrine et de la pratique de succession), lui déclara par la suite, “au Tibet, j’avais beaucoup de togdenma, mais maintenant je n’en ai plus une seule. Je prie afin que tu joues un rôle prépondérant dans le rétablissement de la lignée des tongdenma” (Stril-Rever, 2000).

Rentrée en Europe en 1988, elle a consacré toute son énergie à créer la communauté des tongdenma, conformément au vœu de son Maître. Son expérience est riche d’enseignements pour tout autre, tant bouddhiste que chrétien, qui lui demande d’en parler et s’en inspire, à l’exemple d’une carmélite âgée déclarant même regretter qu’on ne lui ait pas enseigné plus tôt les techniques de méditation tibétaine, que l’on peut appliquer sans nécessairement devenir bouddhiste soi-même et qui enrichissent considérablement le vécu spirituel.

Invitée dans des grands rassemblements inter-religieux, puis dans des centres du Dharma dans le monde entier, les fonds que lui procurent les enseignements qu’elle donne vont servir à réaliser le couvent de Dongyul Gatsal Ling (le couvent du merveilleux bosquet de l’authentique lignée) près de Dalhousie, en Inde du Nord. En oeuvrant pour ce couvent, elle contribue à faire évoluer la situation des nonnes au sein du bouddhisme tibétain : elle a une conscience aiguë de leurs difficultés car dans la communauté monastique, aucune formation n’est prévue pour les nonnes traitées comme des pratiquantes inférieures. En mars 1993, elle avait eu l’occasion de s’ouvrir de ces problèmes auprès du Dalaï Lama, lors d’une conférence internationale sur la transmission du Dharma en Occident. Le message fut-il entendu ? Deviendra t-il une source de changements et d’évolution des conditions faites aux communautés monastiques féminines ?

Son couvent, pourrait aider à la fois les nonnes tibétaines oubliées et les nonnes ou les laïques occidentales, désireuses d’être guidées dans une retraite (Mac Kenzi, 2000).

Le XVIe Karmapa, qui donna sa bénédiction à cette jeune nonne, semble avoir ranimé cette dynamique féminine du bouddhisme. Qu’en sera t-il au niveau des transmission en France ?

Cette nonne n’a jamais été invitée par Dhagpo Kagyu Ling. Il faut dire que malgré les apparences, le machisme régnant en maître tant chez les tibétains que chez les pseudo-humanistes, co-dirigeant les centres, il n’y a là rien d’étonnant.

Parcours d’une tibétaine : Khandro Rinpoché

Khandro Rinpoché est une des rares femmes tibétaines à être considérée comme un Maître spirituel. Née à Kalingpong (Inde du Nord) en 1967, fille aînée de Mindrolling Trichen Rinpoché, elle fut reconnue à l’âge de deux ans par le XVIe Karmapa  comme la réincarnation de la Dakini de Tsourphou, (Khandro Orgyen Tsomo) consœur du XVe Karmapa. Khandroma a reçu les cycles d’enseignements traditionnels des lignées Kagyu et Nyingma, auprès de son père, de Dilgo Khyentsé Rinpoché et du XVIe Karmapa. Elle a également suivi des études universitaires et parle couramment anglais. Enseignant dans le monde entier, elle dirige un monastère près de celui de son père (Ugyen Mindrolling en Inde) ainsi que son centre de retraite, Samten Tsé, près de Dehra Dun où elle réside avec ses nonnes tibétaines. Elle est appréciée en Occident pour sa chaleur et son style d’enseignement direct et pénétrant. Elle décrit ainsi la spiritualité des femmes :

“ Si on se réfère à l’histoire, c’est vrai, il y a eu peu de Maîtres importants qui étaient des femmes. Mais si l’on considère la contribution des femmes au bouddhisme tibétain, alors il me semble que leur place est beaucoup plus importante qu’il n’y paraît, dès l’origine du bouddhisme au Tibet puisque, Yéshé Tsogyal était la principale disciple de Padmasambhava. Nos enseignements ne seraient pas ce qu’ils sont sans son apport. S’il y a eu moins de tulkous femme, je crois que c’est surtout du fait que la société tibétaine, comme toutes les sociétés orientales, a toujours été dominée par des hommes. Dans un monde patriarcal, les femmes doivent se battre davantage pour atteindre le même résultat que les hommes…Je suis un tulkou d’une famille très respectée, mais même pour moi parfois, en tant que femme, je me heurte à certaines réticences…Je pense que la mentalité tibétaine globalement accepte désormais l’idée que les femmes peuvent être de très bonnes pratiquantes, mais il y a toujours une retenue face à des tulkous femmes. Les tibétains doutent encore que les femmes puissent être de très grands Maîtres. Certains refusent aussi, pour de multiples raisons plus ou moins cachées, l’idée qu ‘une femme puisse atteindre l’Eveil dans un corps de femme, au cours de son existence…Il y a eu un certain nombre de tulkous femmes dans l’histoire, surtout dans la tradition Kagyu, même si les écoles Sakya et Nyingma ont également fourni des Maîtres féminins d’importance. Hormis ces tulkous, il faut également souligner que nombre de grands Maîtres et en particulier dans la lignée de mon père, Mindrolling Rinpoché, ont été des femmes très actives, parfois exceptionnelles, qui ont joué un rôle considérable pour faire perdurer la doctrine et les enseignements. ”[87]

Khandro Rinpoché est peu souvent invitée à Dhagpo Kagyu Ling. Lorsqu’elle vient enseigner, elle recrute beaucoup plus d’adeptes que ses homologues masculins. Par exemple, en juillet 2002, elle a mobilisé 365 personnes pendant deux jours consécutifs, chiffre qui augmente considérablement lors des initiations. A cette date elle avait donné celle de Yéshé Tsogyal. Seul le Karmapa mobilise plus de personnes. A la question pourquoi n’est-elle pas invitée plus souvent, nous pourrions répondre qu’elle est très directe autant dans ses enseignements que des ses actes[88], ce qui ne plait peut-être pas aux comités organisateurs. Kandroma est également invitée au niveau des programmes télévisuels consacrés au bouddhisme[89].

La lignée Karma Kagyu semble avoir fait une bonne place aux femmes dans ses enseignements et ses transmissions. Lama Guendune Rinpoché, a formé aussi bien des femmes que des hommes, avec des enseignements similaires selon les témoignages recueillis. Pourtant, au monastère de Laussedat Lama Rintchen responsable des centres de retraite des femmes, n’a été nommée qu’après une seule retraite de trois ans, les enseignements dits complets étant étalés sur deux retraites jusqu’en 2007. Ainsi, les abbés des congrégations bouddhistes en France sont tous des hommes…

Les taux de recrutement des adeptes entre 2000 et 2002, sont en eux-mêmes explicites quant à la diffusion de la spiritualité. Lama Wally, occidentale ayant fait plus de quinze ans de retraite laïque sous la direction de Lama Guendune, aujourd’hui co-responsable spirituelle du centre laïque de Marfond (Dordogne),  a mobilisé, les 19 et 20 janvier 2002, 176 adeptes par jour sur un week-end d’enseignement ; ce chiffre est très fort en comparaison de la moyenne établie de vingt cinq personnes par jour d’enseignement. Qui plus est, en cette période creuse de janvier elle se situe avant certains rinpochés tibétains masculins (visites d’été). Cela se passe de commentaires.

  • Différences femmes-hommes dans l’inscription religieuse

Dans son étude globale sur la population française, Eléna Millan Game a mis en évidence les divergences existant sur le thème de la religion, entre les femmes et les hommes. Entre 1990 et 1999, celles-ci se sont accrues. Il eut semblé logique qu’en 1999, à mesure que les femmes étaient plus nombreuses à accéder à des postes et à des statuts semblables à ceux des hommes, la convergence des valeurs religieuses et politiques s’accentue. Ce n’est pas le cas. La religiosité reste plus forte chez elles et se renforce, les divergences religieuses se creusant encore davantage. Nous avons démontré que la déclaration d’une pratique religieuse chez les femmes ne dépendait ni de la catégorie sociale, ni du diplôme, ni des revenus. A t-elle ses origines dans cette irréductible différence des corps ? Dans l’expérience même de la grossesse, expérience spécifiquement féminine qui demande une implication biologique et psychologique considérable de la part des femmes et qui exerce à son tour une forte influence sur elles ? L’acte d’enfanter (…) confronte t-il les femmes plus directement au mystère qu’est la vie, au sens de la mort, au sens du sacré ? (Davie, 1994)

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(chiffres extraits du tableau 3 p. 189).

* extrait de notre enquête ; en deuxième colonne il convient de considérer la cohorte 36-55 ; en troisième colonne la cohorte 56 ans et plus ; ces écarts étant en fin des cohortes les plus âgées ne modifieront pas la signification notre analyse.

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Tableau 4 : Comparaison des indicateurs religieux

Sur la pyramide des âges de notre enquête (figure 6), nous avons remarqué une nette inflexion du rapport femmes-hommes dans la fréquentation des centres à partir de 26 ans. Si la cohorte 18-25 inclus 3,2 % de femmes et 3,8 % d’hommes, au sein de la cohorte 26-35 ans, les femmes représentent 8,2 % tandis que les hommes, 6,8 % ; au-delà de 35 ans les rapports sont doubles puis quadruples. Ce point d’inflexion correspond en effet à l’âge des premières maternités. Les femmes sont donc là, plus réceptives. Avec le Grand-Véhicule, l’attention va se déplacer du côté de l’agir: « l’amour-compassion du bodhisattva »[90] ; encore ici les femmes ayant eu des enfants semblent avoir une longueur d’avance dans la compréhension et l’intégration des six paramitas[91] au niveau de la compréhension et de la transposition dans l’agir. Ces notions ont été reprises par lama Khédroup[92], lors de la création du groupe Amala.

En ce qui concerne la présence et l’engagement féminin, nous sommes sur un itinéraire de découverte, que l’on peut considérer d’une façon globale se caractérisant pour les plus élevées socialement et culturellement, comme dans les autres religions, par l’autonomie des femmes vis-à-vis de l’autorité religieuse qui serait tentée de les normaliser (Campiche, 1996). Ainsi le traduit cette chercheuse dans le domaine des sciences cognitives : Je crois que le bouddhisme nous montre la direction mais que nous devons trouver nos propres méthodes d’exploration de l’expérience subjective, créer notre propre chemin.

La quête d’une réponse religieuse extérieure à des questions relatives au sens de l’existence, ou à l’incertitude du temps présent, ne constitue pas un indice fort de relation au bouddhisme tandis que le lien au corps et la relation spirituelle intime sont ici capitaux. Nous les concevons à la lecture des neurosciences et non de la psychologie. Quel en sera le poids dans le futur ?

Il nous semble considérable si l’on observe la remontée actuelle du poids des femmes dans la société. La transmission du bouddhisme peut revêtir un impact capital au niveau de la construction sociale du territoire. Si toutes les sociétés européennes sont marquées dans leur culture par une Eglise qui imprègne encore les modèles sociaux, plusieurs chercheurs ont montré que le catholicisme était nettement en voie d’exculturation. C’est là, précisément, qu’il risquerait d’y avoir, laïcité aidant, un changement en profondeur. Il faudrait pour cela dépasser les stades de double-contrainte induits dans nos sociétés. Il y a fort à parier que les jeunes générations soient sur le bon chemin.

9°/ – Le bouddhisme actuel, clef de la double-contrainte ?                                     

Au XXIe siècle, l’être humain au cœur des espaces est partagé entre authenticité et liberté raisonnée. L’homme moderne est prisonnier d’un système de pensée reposant sur la « double-contrainte ». Il a abandonné sa liberté, en s’engluant dans des relations hiérarchiques de proximité, attiré par le miroir aux alouettes d’une société protectrice et sécurisante. Il est retombé dans un rapport du type mère-enfant dont il n’a pas le courage de re-sortir. Avant d’illustrer notre propos par deux exemples, il convient d’évoquer brièvement le phénomène.

L’être humain est tributaire de son environnement qui lui impose des forces et des impacts ainsi que de son codage génétique qui lui permet de s’y adapter. C’est par le biais de l’expérimentation directe et de l’apprentissage primaire qu’il pourra sortir du contexte dans lequel il est placé. La théorie de la double contrainte se fonde sur la théorie de l’apprentissage secondaire. Elle est difficile à décrire pour deux raisons : elle est souvent transmise par des moyens non verbaux : attitudes, gestes, ton de la voix, implications cachées dans les commentaires verbaux, bref, tous les moyens peuvent être utilisés pour véhiculer le message plus abstrait ; ensuite, elle peut se heurter à un des éléments de l’interdiction primaire. La verbalisation de l’injonction secondaire pourra revêtir une grande quantité de formes, par exemple : « ne considère pas ça comme une punition ».

L’effet de la double contrainte est utilisé dans le bouddhisme zen (mahayãna) dans le but d’atteindre l’illumination. Ce n’est pas le cas dans nos sociétés. Devant une situation de double-contrainte, tout individu verra s’effondrer sa capacité de distinguer les types logiques. Il est pris dans une situation où l’autre émet deux genres de messages dont l’un contredit l’autre. On a induit une confusion dans les règles qui donnent un sens aux relations importantes qu’il entretient avec son environnement (humain ou physique). On provoque une douleur et une inadaptation qui peuvent être graves ; si on peut éviter les aspects pathologiques, l’expérience a des chances de déboucher sur la créativité. (Bateson, 1977 et 1980)

  • Double-contrainte dans les espaces naturels

Les adeptes actuels du bouddhisme, sont principalement ceux qui souffrent du principe de la double contrainte, décrit comme un agencement des forces mentales dans la tête du regardeur : il faut ressentir dans son émotion profonde des chocs antagonistes pour souffrir de cette chose là. Celui dont l’émotivité est bien planifiée par l’ensemble des Elément de Conditionnement Mental (E.C.M.) ne risque pas grand-chose. Il atteint ceux qui sont liés émotionnellement à la nature et de façon positive, et qui constatant ce qui ce passe en sont déprimés, dégoûtés, furieux :”Ils vont aménager la digue ! » nous déclarait avec horreur une vieille testerine[93] ; » où pourra t-on aller maintenant pour se vider la tête ? Ils bétonnent tout, ils construisent partout, même dans nos prés-salés… » Canaliser la nature, amener les humains à utiliser leur cerveau à la façon d’une machine, de manière linéaire, c’est “exécuter des émotions”. N’est-ce pas le calcul permanent engendrant la distanciation froide, la peur de la réalité, la virtualisation satisfaite ? L’espace infini et vide des territoires de nature disparue résonnera à la perfection avec une vie mentale aseptisée.

La nature est le miroir de l’homme et en ce sens elle peut déranger ; on peut évoquer la “terreur de l’organique” dans une société de purs esprits rationnels et clairs, d’où les premiers mythes anti-nature à grands renforts de diable et de sorcière, pour évacuer ce qui dérange, pour casser cette relation organique existant entre l’intérieur et l’extérieur de l’homme. La prise de pouvoir est alors facile dans une société peuplée d’hommes « rationnels » et les espaces sont réinvestis par ce nouvel homme. Il y produit de la “nature protégée” à des fins de démonstration, d’éducation et de socialisation, entre autre. Il y a ainsi conception et scénarisation de l’espace et recours à des compétences spécifiques : des concepteurs qui décident du scénario éco-systémique à privilégier, (dans l’idée de la gestion des risques). Il demande aussi toutes sortes d’arrangements et d’artifices…” (Delbos, 2002). Nos sociétés post-modernes sont soumises à moult jeux d’influence et de domination dans l’espace qui substituent la protection et la sécurité à la liberté, qui, dans les témoignages recueillis s’exprime par l’authenticité. Ce besoin, souvent évoqué, est recherché par les adeptes du bouddhisme, tant au niveau de la nature que de la spiritualité, cette dernière étant pressentie dans le futur  pour lui servir de pis allé.

De nombreux hommes des pays occidentalisés vivent ainsi dans des sociétés liées à des espaces artificiels, recréés de toutes pièces. Nous pouvons en donner un exemple concret : Gommer les distinctions fondamentales, coincer les émotions en position paralytique voilà le but (involontaire je l’espère) d’une autre de nos délirantes inventions : le terrain d’aventure…aller n’importe où sans plan, c’est bien là le rêve de l’aventurier. Découvrir au hasard, être surpris, affronter la nouveauté, telle est la motivation de l’explorateur, qu’il soit confirmé ou en culotte courte. Un terrain c’est un lieu réservé, clos, planifié. Prévoir l’aventure ! Quel scandale mais surtout quelle belle double-contrainte[94]. Qu’importe si l’enfant ne sait pas ce qu’il va découvrir. Il sait, même confusément qu’il est dans un terrain d’aventure, c’est-à-dire que c’est pour faire semblant, que les adultes ont fabriqué l’aventure qui est par essence du non-fabriqué. Il sait qu’il ne peut y avoir de vraie surprise, qu’on ne peut trouver que ce qui a été mis. Mais la puissance du jeu entraîne à se laisser faire un peu. A imaginer… l’enfant ne peut ni refuser, ni ne pas refuser. Et le touriste adulte à qui l’on propose l’aventure sans risque, l’aventure sans imprévu, l’aventure confort au moins minimum (…) avec Indiens assurés, navigue dans le même no man’s land émotif…l’authentique ne se décrète pas, il vient. Des profondeurs. Du mouvement naturel de la pensée et de l’émotion. Le vouloir, c’est déjà lui couper les ailes  (Terrasson, 2001).

Les témoignages recueillis dans le contexte bouddhiste, pointent les enfermements actuels qu’imposent aux êtres humains dans leur globalité, nos sociétés développées. Développement durable ou avenir viable [95]? Théodore Monod tout comme le géographe Jean-Bernard Racine évoquent dans plusieurs ouvrages le sacré comme seule issue. Le bouddhisme transmis par les Maîtres tibétains pourrait jouer un rôle dans le futur. Seulement quelle place la société lui réservera t-elle ? Jusqu’à quel niveau sera t-il positionné ou instrumentalisé par les acteurs de nos sociétés ? Comment les détenteurs de la transmission pourront-ils ou voudront-ils adapter le Dharma auprès des différents publics ? Quelle sera leur marge de manoeuvre par rapport aux logiques de développements ? Les contraintes qui émergent des logiques actuelles de développement, que ce soit en France ou dans les pays du Sud (Guérineau, 2001) induisent un appel vers la spiritualité mais comment cette dernière peut-elle être vécue dans ces logiques ? Le bouddhisme, tradition chargée d’humanité n’a pas vocation à soutenir l’industrialisation de la planète. Seulement l’homme est-il près à revenir à des modes de vie plus authentiques en choisissant un avenir viable dans la gestion de son environnement, de son espace, des territoires qu’il occupe ?

Déjà en 1973, Dansereau parlait « d’austérité joyeuse » dans le but d’un réel développement durable. Nous en sommes bien éloignées.

  • Double-contrainte dans la société

Nous avons donné un exemple de la double contrainte par rapport à la nature ; l’autre pôle de cette notion se situe ici : image type ou mise en marge de la société ? Intégration de l’être dans la société du global ou recherche du point d’équilibre entre praxis et idéel ?

L’homme a petit à petit perdu le lien avec son identité profonde, inscrite au plus profond de son corps. Il l’a complètement occultée, au profit d’un égo qui saisit toute chose. Nous retrouvons cet égo poussé à l’extrême décrit par J. Jonot, guide de haute montagne sous l’appellation de Taux de Prestige Ajouté (TPA, à ne pas confondre avec taux de pertes acceptables – Benson, 1980) lorsque l’homme remplace le désir émotionnel de nature par la volonté de l’acquérir et le besoin d’être reconnu, (Maire, 2005) ce qui relève de l’orgueil humain.

Les adhérents à Dhagpo n’appartiennent pas à ces groupes d’individus, d’après les descriptions qu’ils donnent des lieux qu’ils visitent. Cependant, ils relèvent également d’un autre processus de double-lien (Bateson, 1972). Dans nos pays post-modernes, l’homme est amené à se prendre pour un instrument, un objet, pour se vendre ; par le fait, il est en décalage complet avec son espace intérieur et il joue consciemment sur l’image extérieure qu’il désire donner de lui. Cette attitude l’amène à se transformer à l’intérieur de manière inconsciente, à se perdre tout en développant, pour survivre, une personnalité“as if” (Deutsch, 1951) ou  un “faux self” (Winnicott, 1971) ou encore “un égo grandiose” (Kemberg, 1980) donc un “moi compact fantasmatiquement unifié” (Enriquez 2002). Pour être en accord avec lui-même, il devrait remettre en jeu son lien à la société, son intégration, la sécurité et les avantages qu’il pense avoir acquis. S’il est naturel, il rompt l’équilibre, il se met hors circuit tandis que s’il garde le masque jusqu’à s’identifier avec ce dernier, il est intérieurement mal à l’aise, »fabriqué » mais inclus dans le système. Il ne peut ni accepter, ni refuser, donc il se fabrique un égo de plus en plus fort pour rester et survivre dans le cercle. Il a perdu le jeu de l’acteur (Sennett, 1979).

Il existe chez l’individu une certaine capacité d’analyse de soi et de prise de conscience qui permet à chacun, s’il le désire, de se rendre compte de son côté inachevé, incomplet, de rencontrer les autres et soi-même. Mais cette manière de voir les choses néglige un élément décisif : la capacité vécue comme destructrice par beaucoup, de prise de conscience, liée peut-être à l’intuition d’une possibilité d’auto-destruction ce qui conduit à poser encore bien des questions sur la soumission à l’autorité, l’assujettissement, la peur de la liberté (Enriquez et Haroche, 2002). Le maintien du contrat social passe donc par ces processus imposés dans nos sociétés. Ils aboutissent soit à un état de super-individualisme, soit à un état démissionnaire, l’un produisant un être asocial et l’autre, un être absent. Pour sortir de ce type de double-contrainte en maintenant le système virtuel actuel, les organisateurs de nos sociétés verraient-ils ici encore, dans le bouddhisme, un dérivatif ?

Le seul moyen de sortir d’un processus de double-contrainte, est de rompre un équilibre établi, en prenant délibérément une autre direction, ce qui n’est pas évident pour tous les adeptes rencontrés. Mais, méditations aidant, la vie quotidienne est acceptée tout comme son impermanence évoquée dans les enseignements bouddhistes. Cette impermanence que l’on retrouve dans les cycles cosmiques, dans le cycle des saisons, dans les aléas climatiques, que nos contemporains ont de plus en plus de mal à accepter et veulent à tout prix contrôler. D’autre part, la sortie de ces processus vécue sur un même plan chez les individus, les rééquilibrent au sein de leur environnement, d’où l’importance et la diffusion soutenue du mahayãna, le vajrayãna ouvrant lui sur une complète liberté, à des niveaux supérieurs. Sa diffusion permettrait de vivre la démocratie réelle, celle où le pouvoir tend vers zéro dans une société spiritualisée et non animalisée, version robocop.

Conclusion

La navigation géographique que nous avons réalisée au cœur de l’espace-temps du bouddhisme indo-tibétain en France, permet de remettre en question de nombreux pré-supposés existants. A l’aube du XXIe siècle, il est obsolète de considérer une spiritualité et en particulier le bouddhisme vajrayãna selon des bases conceptuelles ou magico-religieuses.

La recherche que nous avons menée durant ces cinq années a débuté sur un mode phénoménologique quelque peu marginal (Varela, 2002). Il s’agissait de comprendre pourquoi les Français adhéraient au bouddhisme indo-tibétain et qu’est-ce que cette spiritualité pouvait leur apporter, comment elle pouvait influer sur leur existence. Cette démarche impliquait la relation à l’être humain dans toute sa profondeur mais aussi les liens puissants que nous avions avec les espaces naturels. Au fil de l’avancée de nos travaux, nous avons mis à jour la « matière organisée » par le biais des territoires. Nous avons également été confrontées à « l’organisation matérialisée » dans l’espace, sous forme d’une multitude de réseaux à l’existence insoupçonnable.

Ce travail ouvre de nombreuses pistes de recherche pour le futur, ainsi que nous l’avions pressenti. Du rapport au corps à la géopolitique, nous en avons posé les bases. Aucune étude dans le cadre de la géographie n’existait jusqu’à ce jour, sur l’implantation du bouddhisme indo-tibétain en France. Tout en suivant comme fil conducteur la médiologie (Debray, 1991), qui permet de décrypter les phénomènes de transmission, il nous aurait été impossible d’obtenir ce panel de résultats sans intégrer une démarche émergentiste (Bergandi, 1995). Il restera bien-sûr aux chercheurs interpelés par le sujet, à approfondir nos premiers résultats et à se pencher sur notre méthodologie, non évoquée dans le cadre de cet article.

Parmi les premiers acteurs de l’implantation du bouddhisme de tradition tibétaine dans nos pays dits civilisés nous comptons de nombreux scientifiques de renommée internationale. Ces hommes hors du commun, pionniers de la physique, de l’astrophysique et autres, dès le début du XXe siècle, étaient pour l’essentiel introduits à la mystique par le biais de la pratique du yoga, de la gnose ou de disciplines développant leur conscience subjective, à haut niveau. Au fil des ans, de Bernard S. Benson à David Bohm et d’Albert Einstein à Francisco J. Varela, ils ont expérimenté le cœur de leurs sciences en parallèle de pratiques spirituelles, et pour certains du bouddhisme tantrique. Ayant perçu sa profondeur, ils ont fait en sorte de le sauvegarder et de le propager en assistant les Maîtres dans leurs périples et dans leur travaux, avec comme philosophie la transmission à l’Humanité de cette spiritualité intacte depuis des siècles. Ils ont été appuyés dans leurs démarches par de nombreuses personnalités dont des hommes politiques humanistes et libéraux qui n’étaient peut-être pas tous sans arrières pensées. Une union avec les Lamas tibétains, aurait pu parfaire leurs idéaux d’évolution sociale dans l’après-guerre, y compris dans la gestion de la crise des années 1970 suite aux bouleversements socio-économiques. Elle aurait pu servir de point d’ancrage aux démocraties nouvelles. Ainsi le bouddhisme indo-tibétain, amalgamé au bouddhisme en général, a-t-il pu se diffuser largement dans les pays du Nord, grâce à l’appui de multiples réseaux de laïcs, pas tous identifiables, répartis tant à l’Ouest qu’à l’Est (Crims, 2005).

En France, une stratégie subtile, à l’américaine, consistant à garder l’eau du bain en rejetant le bébé a commencé à se mettre en place. Cela se traduit par un bouddhisme de résonance, qui comme dans toute homéopathie, pourrait entraîner hors de tout organisme, la spiritualité profonde. Cette nouvelle église, basée sur la démocratisation du bouddhisme, son pragmatisme et l’engagement au sein de celui-ci, se traduit aux USA par l’activisme social tandis qu’en France, il se répercute sur la sphère domestique. Seulement ces enseignements religieux doublés de techniques méditatives simplifiées ne fidélisent pas grand monde car tout ceci est dépassé. Que ce soit les tibétains ou les français qui enseignent, ils sont loin de remplir les centres. Si le discours n’évolue pas, les jeunes n’y adhéreront pas car ils ne peuvent pas se spiritualiser sur la base du discours de la raison comme le démontrent notamment aux Etats-Unis les refus actuels des systèmes éducatifs sclérosés (Derrida, 2001) et cela s’explique parfaitement. Pourtant, la France s’entête, tant à droite qu’à gauche. Citons quelques extraits de l’ouvrage de Nicolas Sarkozy lorsqu’il était ministre de l’Intérieur, donc ministre des Cultes (2002-2004):

  • « Les lieux de culte doivent se trouver là où résident les Français »
  • « Républicaniser les religions sans les transformer en religions d’Etat »
  • « Les pouvoirs publics, les Préfets, les Maires, les administrations changent de mentalité pour le bien de la société »

Dans la logique actuelle de mise place des gouvernances, l’Etat et les Préfets doivent constater un Pays, dans l’harmonie et l’unité plutôt que les décréter. De ce fait, la contribution de la société civile est attendue ; elle a pour but d’éviter : la démobilisation (démocratie participative), le repliement sur l’individualisme et le corporatisme, le délitement du lien social, le renforcement du fatalisme ainsi que le rejet du politique. D’où ces citations complémentaires relevées dans l’ouvrage pré-cité:

  • « La foi et l’engagement des citoyens croyants sont positifs pour la Nation »
  • « Il est temps de poser la question du financement national des grandes religions et celle de la formation des ministres du culte »
  • « L’implication de l’Etat pourrait permettre de rompre avec les influences étrangères »

Est-ce pour cela que le Dalaï-Lama n’a pas été reçu par le Président en août 2008 ? Ou bien la France aurait-elle peur de la Chine alors qu’elle vient de poser un ultimatum à la Russie pour le retrait des troupes de Géorgie ? Au niveau économique, la Russie n’est-elle pas aussi solvable que sa voisine ? Il faudrait là reprendre le problème à la base et poser les bonnes questions. Le bouddhisme indo-tibétain transmis par des Maîtres spirituels authentiques dérangerait-il ? Qui ? Les pseudo-lamas cautionnant le règne actuel des soudras ? L’aéropage gravitant autour et dans les salons parlementaires, et qui semble avoir une influence majeure sur le pouvoir ?

Dans cette logique,  nous pouvons nous demander ce que N. Sarkozy est allé faire au Vatican il y a quelques  mois. Il est vrai que le tandem commerce-religion catholique a toujours bien fonctionné ; nous en voulons pour exemple au début du siècle, les prêches en Afrique qui incluaient l’habillage des noirs : les industries textiles du nord de la France avaient peine à fournir (Barthe-Deloisy, F 2003). Souvenons-nous également en France de la modernisation de l’agriculture entre 1945 et 1980, telle qu’elle avait été programmée par des technocrates humanistes et mise en œuvre par des ONG chrétiennes, jumelles de celles qui sévissent dans le tiers monde (Latouche, 2001). Ce que l’Eglise ne prend pas, le fisc le confisque, c’est connu depuis le Moyen-âge (Simmonot, 2008). La voie royale de préservation  des biens et d’ingérence semble passer de nos jours par diverses structures associatives, ayant pour modèle une forme de socio-démocratie participative : « Les religions doivent développer les actions humanitaires » (ibid)

Là encore le bouddhisme indo-tibétain en territoire français est parfaitement intégré : Education au Tibet par le biais d’ONG multiples et variées, Voyages de tourisme culturel au Kham pour randonnées et méditations, partenariats avec la route de la soie selon un programme de l’Unesco…quant aux dépravations de l’environnement et aux violations des droits de l’homme (Ziemer Laura 1998), ils ne semblent pas s’inscrire au programme. Quid de l’armement du plateau tibétain (Comité International de Juristes) ? Personne ne semble s’en soucier. Par contre, l’espace géographique bouddhiste dans les pays du Sud présente de nombreux rameaux, greffons occidentaux dont les éléments sont tant laïcs que religieux ; les ONG, les systèmes humanitaires, éducatifs ou autres ramènent dans leurs bagages sous couvert de développement durable, des projets de barrages hydro-électriques, de développement touristique, de réseaux ferroviaires ayant tous pris naissance depuis une centaine d’années.

Le passé n’est pas ce que l’on laisse derrière soi, mais ce que l’on retrouve devant soi (Debray, 1991). Nous avons ainsi rapproché, le déploiement programmé tant du bouddhisme que  des religions en général, au cœur de nos sociétés post-modernes, du “modèle de l’organisation religieuse de la Terre“ qu’avait défini Leibniz[96] et dont la philosophie est interprétée trop souvent sur un mode rationaliste ce qui lui enlève l’essentiel du contenu (Baruzi, 1907). Le philosophe[97] avait pensé l’organisation mondiale sur une double polarité. D’une part un ordre religieux unique, composé de contemplatifs qui maintiendraient l’essence même de la spiritualité et d’actifs qui enseigneraient et développeraient les sciences et les arts. D’autre part une société, maîtresse du commerce européen qui s’insinuerait à travers le Terre entière. Selon Baruzi, en ce XVIIe siècle, le siècle des Lumières, les rapports de Leibniz avec les souverains, avec l’église romaine, avec les sectes protestantes, traduisirent un même effort que l’on pourrait ainsi définir : travailler à faire de la planète un instrument docile dans sa plénitude, fournissant toutes les richesses matérielles et spirituelles. Au niveau géographique, Leibniz évoque la géométrie ou philosophie du lieu (grec : sagesse-connaissance) comme étant la philosophie de la Force ou philosophie du corps. La philosophie du corps à son tour est un degré vers « la science de l’esprit« . Cette dernière qualification leibnizienne est souvent employée dans la définition actuelle du bouddhisme[98]. Cet « Ordre mondial » prôné par Leibniz aurait-il suscité quelques émules dans nos sociétés ? Si l’on se réfère à son implantation sur le territoire le bouddhisme et l’Etat cohabitent sans problèmes, d’autant qu’il y a actuellement une exculturation du catholicisme dans la société française (Hervieu-Léger, 2003). Par contre, il est pitoyable de cautionner un tel modèle au XXIe siècle, dans un monde régit par une économie de marché actuelle complètement virtuelle. Nous adhérons ici totalement aux travaux de scientifiques tels J. Ellul, Th. Monod, S. Latouche, F. Terrasson …pour ne citer que ceux-là. Ils sont unanimes : seule une logique de décroissance peut sauver ce qu’il reste d’humanité. Et c’est là un point crucial. Si les spiritualités étaient instrumentalisées pour faire perdurer un système monde obsolète depuis plus de cent ans, à qui cela profiterait-il ? Certainement pas aux êtres humains dans leur majorité.

Toutes les spiritualités ont perdu leur « âme » en se transformant en religion ; elles sont devenues des exégèses dogmatiques, mettant à l’horizontale l’angoissante verticalité des origines. A chaque fois qu’elles ont été instrumentalisées par les laïcs, les spiritualités se sont vidées de leur contenu. Nous avons cité l’église catholique, mais c’est également le constat que nous pouvons dresser avec le développement de l’intégrisme au sein de l’Islam. Le même constat est tristement réel au sein du protestantisme avec les télévangélistes américains. Quand au bouddhisme, ses détenteurs n’ont pas toujours été très intègres contrairement aux légendes véhiculées. Il serait temps que les Maîtres tantriques dignes de ce nom réagissent. Il en est de même pour les européens qui ont reçu les transmissions. Ils ont aujourd’hui des choix à faire entre le pouvoir, les honneurs et la spiritualité. Il est certain que leur marge de manœuvre, dans le monde matériel semble très restreinte. Cependant, si nous repensons au Tibet ou à l’Inde des premiers richis, les Maîtres étaient des yogis souvent ermites, errants et respectés. De nos jours, le respect n’allant qu’à ceux qui détiennent le pouvoir et l’argent, qu’en est-il ?

Kalou Rinpoché a montré le chemin en donnant dans les années 1980, en France, des initiations au tantra de Kãlachakra. Le Dalaï-Lama a également ouvert la voie en donnant cette initiation plusieurs fois de part le monde y compris en France. Il a également cautionné, en mars-avril 1995, lors de l’exposition Tibet à la grande Halle de la Villette de Paris, une exposition où le mandala de « la Roue du Temps » fut élaboré. L’étude et la pratique de ce rituel pour la « Paix du Monde » sont d’une très grande force et d’une très grande profondeur. Il a notamment été accompli jours et nuit, au Sikkim, avant l’incinération du XVIe Karmapa. Pourquoi ces pratiques ne sont-elles pas développées sur notre territoire ? Il semblerait que les mystiques, quelles que soient leurs origines, soient depuis longtemps sous le contrôle de laïcs dans notre pays (Rouvinois, 1999). La sagesse profonde serait-elle l’anti-thèse de l’économie ? C’est à croire.

Les hommes porteurs de spiritualité n’ont peut-être pas le choix des moyens. Dans le meilleur des cas les gouvernements leurs ferment l’accès aux territoires et dans le pire des cas, leurs vies sont fortement menacées ainsi que nous l’ont démontré les gardes du corps du XVIIe Karmapa Trinlé Thayé Dordjé, relié au centre de Dhagpo Kagyu Ling. Dans les cas intermédiaires, ils sont souvent en semi-liberté dans leurs pays d’accueil, Inde ou Népal où leurs déplacements et les cérémonies auxquelles ils sont conviés sont soumis à autorisation.

Le bouddhisme est-il alors destiné à devenir une étiquette voire une porte d’entrée pour divers groupuscules occultes et financiers ?

Si l’on se réfère à Albert Einstein l’évolution de l’être humain induit plusieurs phases religieuses. Au début, il existe la « religion crainte », sur fond d’animisme. La caste religieuse se crée et prend le pouvoir spirituel mais aussi temporel en s’alliant avec les castes dirigeantes. C’est la caste qui protège et qui sert de médiateurs entre les puissances divines ou infernales et l’homme. L’aspect qui lui fait suite est la « religion morale », celle du Dieu salvateur représenté par ses ministres. La source de cette formation religieuse repose sur des sentiments sociaux. Vient ensuite la forme la plus élevée des religions, « la religion cosmique ». Elle a existé depuis le premier échelon de l’évolution les prophètes comme David en témoignent. L’être humain veut ici éprouver la totalité de l’existence. Einstein évoque le bouddhisme de nos jours. Il fait aussi le pont entre cette religiosité cosmique et la science, la vraie, la quête du chercheur. « Les savants sérieux, sont les seuls hommes qui soient profondément religieux » déclare t-il. Notre civilisation tendra dans le futur, peut-être, vers ce type de liaison ainsi que nous le montrons dans la dernière figure illustrant, dans l’espace-temps, la nébuleuse des religions et des sectes autour d’une flamme symbolisant la spiritualité. Nous sommes à la jonction et la rupture est sur le point d’être consommée. Il est tant encore d’en prendre conscience. La chance de l’humanité est de pouvoir réagir en faisant une place grandissante à la spiritualité, considérée avec nos connaissances scientifiques les plus pointues, et non sur un mode magico-religieux. Les derniers Maîtres du  vajrayãna peuvent nous y amener, encore faut-il qu’ils le veuillent et que la voie leur soit ouverte.

 

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Figure 11 : Essai de représentation spatio-temporelle des spiritualités

1°/ – Une nébuleuse historique                                                                                                  page 3
2°/ – Un développement canalisé                                                                                              page 6
3°/ – Logistique de la diffusion du bouddhisme dans l’espace français                       page 8
4° /- Que recherchent les adeptes rencontrés sur les centres ?                                      page 12
5°/ – Du bouddhisme au christianisme, un même schéma de pratiquants                  page 17
6°/ – Des facteurs attractifs transposables                                                                             page 23
7°/ – Profil socio-géographique des adeptes                                                                          page 30
8°/ – Qui sont les femmes ?                                                                                                          page 38
9°/ – Le bouddhisme actuel, clef de la double-contrainte ?                                              page 47
[1] Il est impossible de séparer l’autorité temporelle non religieuse de la religion elle-même dans l’histoire du christianisme occidental. Les sept premiers conciles qui ont « filtré la chimie intellectuelle de l’Incarnation » ont tous été convoqués par les empereurs romains et les décisions prises – les dogmes – l’ont été par eux et pour eux, à leur initiative et profit. La naissance de l’Eglise en tant « qu’épouse du Christ » et l’organisation de la diffusion du message ont induit le « fonctionnement à l’horizontale de l’angoissante verticalité des origines » (Debray, 1991). C’est ainsi que fut petit à petit évacué la profondeur d’une spiritualité intériorisée (Davy, 1996) et que furent brûlés ou dissimulés de nombreux écrits (Gagey, 1957). Nous sommes vraiment éloignés ici de la période, digne de respect, de foi sincère des premiers disciples du Christ, porteurs d’un profond message de paix, et vecteurs de la connaissance des mystères. L’Eglise s’est imposée par la violence et l’exclusion, s’appuyant sur le fanatisme et les possessions temporelles, recevant les « honneurs du culte », le « respect et l’impôt ». L’autorité ecclésiale pyramidale était née.
[2] Avec l’accord de Lama Jigmé Rinpoché, « abbé » de la congrégation bouddhiste KDC, nous avons mené une enquête formelle auprès de 530 personnes, inscrites à Dhagpo Kagyu Ling (Centre Karma Kagyu-pa situé à Saint-Léon-sur-Vézère – Dordogne) entre avril 2003 et avril 2004. Elle a été doublée d’une enquête informelle de type phénoménologique réalisée entre 2001 et 2006 sur plusieurs centres rattachés à cette lignée bouddhiste de tradition tibétaine.
[3] Commission internationale de juristes (1960) Le Tibet et la République Populaire de Chine. Rapport présenté à la Commission Internationale de Juristes par le Comité juridique d’enquête sur la question du Tibet. Genève
[4] Lorsque le Salvador demanda le 7 novembre 1950 l’ouverture d’un débat sur le Tibet à l’assemblée générale des Nations Unies, le délégué de la Grande-Bretagne proposa une motion soutenue par le délégué de l’Inde, ce qui provoqua l’ajournement sine die de la question : « la Grande Bretagne soutenait que le statut du Tibet était indécis et le délégué de l’Inde estimait que la question pouvait être résolue par voie de négociation pacifique ».
[5] Les problèmes soulevés par l’invention de l’arme atomique et la « responsabilité sociale des scientifiques » ont été discutés aux USA dans le cadre de la Federation of America Scientists et en Grande Bretagne dans celui de « l’Atomic Scientits Association ». Jusqu’en 1954 les échanges restèrent confinés aux Anglo-saxons mais en août 1955 « l’association des parlementaires pour un gouvernement mondial » (siège Londres) organisa une conférence dans laquelle prirent part quatre scientifiques soviétiques. A l’issue de cette conférence fut adopté le manifeste Russel-Einstein, puis en 1957, le mouvement Pugwash vit le jour (Klein, 1994). Acteur hybride qui participe aussi bien du système des ONG que de la diplomatie parallèle, il a été conçu par ses fondateurs comme un « laboratoire d’idées » où « des scientifiques agissant de leur propre chef tentent d’infléchir les politiques gouvernementales en faveur du désarmement ». Il est devenu un canal de communication intergouvernementale en dehors des filières traditionnelles. C’est par sa médiation que des scientifiques s’efforcent de marquer de leur empreinte la politique internationale mais la trace de leurs actions dans l’histoire n’est pas toujours visible.
[6] B.S. Benson, ancien pilote de la RAF avait mis au point durant la guerre de 1939-45, un système de missiles  guidés pour se défendre contre les bombardiers allemands. Il n’y a pas de brevets quant on est militaire ; il a également mis au point l’aile delta pour les vols des avions super-soniques. Après la guerre, en 1946,  il est parti aux USA. Conseillé au Pentagone, il invente les premiers micro-processeurs pour les ordinateurs au début des années 1950. C’est ainsi qu’il a fait fortune. IBM a repris les droits mais les processeurs Benson existent toujours. Il était farouchement opposé à la guerre ; il a travaillé avec Douglas pour arrêter la prolifération des armes nucléaires. Il a passé son temps à voyager et à rencontrer les chefs d’état dans ce but, dès les années 1958-1959 (Anne Benson, 2005).
[7] Jacques Chaban Delmas, avait adopté le nom de Chaban, lors de la résistance (1942-1945). En Août 1943, il avait mis son épouse et ses enfants en sécurité à la « Ligerie », demeure des parents de Maurice Bourgès-Maunoury, au Moustiers (début de la côte). Le Château de Chaban, en haut de la côte de Jord en Dordogne, aurait été un lieu de regroupement des résistants. En août 1943, il était venu réceptionner Bourgès-Maunoury parachuté de Londres. Puis en 1946 il fut député de Gironde ; maire de Bordeaux de 1947 à 1995 et premier ministre de G. Pompidou en 1968. De 1974 à 1979 il fut président du conseiller régional d’Aquitaine.
[8] Dès 1945, il fut Commissaire de la République à Bordeaux, puis il fut ministre adjoint de la défense nationale (1951-1952) puis ministre de l’armement en 1952, à nouveau ministre de la défense ; en 1958, date des évènements tibétains et de la fuite des Maîtres, il était ministre de l’intérieur, donc ministre des Cultes.
[9] Jean-Claude GUILLEBAUD. Le Monde. Le 20 novembre 1976.
[10] Auteur de plusieurs ouvrages, dont Le livre de la Paix ; L’oiseau de la Paix ; Alice au pays de l’oseille…
[11] Parmi ces derniers, l’Encyclopédie de la science unifiée, dont seuls quelques volumes verront le jour aux presses universitaires de Chicago.
[12] Certains savants tels Gödel, Popper, Heisemberg ou Einstein s’étaient séparés de cette mouvance à mesure des découvertes de la physique, qui remettaient totalement en question ces idéaux philosophiques.
[13] Il s’intéressait également aux travaux d’Emile Pinel, mathématicien qui avait transposé la théorie de la relativité au niveau du corps humain et des phénomènes de conscience. Il aurait souhaité l’installer en Gironde, afin qu’il puisse y poursuivre ses travaux. C’était un pragmatique.
[14] Cela s’est matérialisé à la bibliothèque municipale de Bordeaux, lors de l’exposition de 1991, année internationale du Tibet, organisée avec la collaboration d’ E. Temple par les Associations L’Aide à l’enfance tibétaine et Tibet Diffusion/Kunkyab choling.
[15] Selon P. Gentelle, dans sa phase éruptive, le gauchisme qui tenait de faire du passé (culturel) table rase, a profité de la naïveté des Gardes rouges pour détruire un nombre considérable de traces matérielles des diverses croyances. Il a tenté de remplacer les vieilles idées par une utopie de « l’homme-nouveau ». Il a fallu depuis, beaucoup reconstruire, même par démagogie politique, comme les 3000 temples tibétains ou comme les milliers de petites mosquées des musulmans Ouigours au Xinjiang (…) Cette géographie de la Révolution culturelle ne peut en aucun cas être isolée des transformations socio-économiques qui l’accompagnèrent. Les relations entre l’espace et les pratiques socio-religieuses ont été radicalement transformées, mais pas le moins du monde abolies : une nouvelle symbolique est apparue, ainsi qu’un nouveau sacré. (Colloque de Géographie de Saint-Dié des Vosges, 2002)
[16] Né en 1904 dans la région du Kham au Tibet, Kalou Rinpoché était Lama Vajra acharya, c’est-à-dire détenteur de Vajra, apte à donner des initiations. Ordonné moine à treize ans au monastère de Pelpoung, le siège Kagyupa du Tibet oriental, par Djamgoeun Taï Sitou Pema Wangtchouk il reçu le nom de Karma Rangdjoung Kunkhyab. A seize ans il fit la retraite traditionnelle de trois ans et trois mois puis partit dans des ermitages de montagne. Il était détenteur des « cinq enseignements d’or » de la lignée Changpa Kagyu. Il sera à partir de 1957 abbé du monastère de Kourteu au Bouthan et chapelain de la famille Royale. En 1973 à la demande du XVIe Gyalwa Karmapa il donna à Rumteck, siège de la lignée Kagyupa, différents cycles d’enseignements et d’instructions aux quatre tulkous, Shamar, Sitou, Djamgoeun, Gyaltsab qui devront par la suite devenir les détenteurs de l’école Kagyupa. Il donna également des enseignements et des transmissions à de nombreux Gueshé dont les abbés du monastère de Namgyal, Dratsang, le collège monastique du Dalaï-Lama ainsi qu’à ceux des collèges tantriques supérieurs et inférieurs. Il conféra à plusieurs reprises la grande initiation de Kalãchakra.
[17] Tibetan Messanger. Vol III/IV. N° IV/I. Winter/Spring 1975. (archives Karma dGon) précise « Des centres existent avec l’autorisation de son éminence le Karmapa et il est espéré que bientôt des moines Kagyupa viendront travailler ici » : Le Centre Tibétain à Aix-en-Provence, dans les Pyrénées (Karma dGon), et près d’Autun (Kagyu Ling).
[18] Mattieu Ricard, chercheur en Biologie au service de génétique cellulaire du Professeur F. Jacob (Institut Pasteur) est devenu disciple de Kangiour Rinpoché, puis de Khyentsé Rinpoché. Actuellement il est traducteur et interprète du Dalaï-Lama.
[19] Le Dr J.P. Schnetzler, psychiatre en retraite, professeur émérite de la faculté de Grenoble et enseignant du Dharma à Montchardon (KML) dans l’Isère.
[20] Journal « Le Populaire du Centre » du 10 Mai 1975.
[21] « Palden Pawo (1912-1991) né au Tibet (centre) avait été reconnu par le XVe Karmapa comme le Xe Pawo Tsouglak Rinpoché. La lignée des Pawo est l’une des plus importantes ; c’est une lignée indépendante de Maha Siddhas indiens, puis de lamas Nyingmapa, puis Kagyupa. Palden Pawo avait donné des instructions et des initiations au XVIe Karmapa. Il était également très proche du Dalaï-Lama, dans un esprit rimé. Le 10ème Palden Pawo Rinpoché, un des principaux yab sras de l’école karma Kagyu,  meurt au Népal en 1991. Il  fût un des maîtres du 16ème Karmapa, des 4 tulkous : Shamar, Sitou Gyaltsab et Jamgön Kontrul, ainsi que de nombreux lamas Kagyupa et Nyingmapa. Le Dalaï-Lama qui visita les centres de Dordogne la même année est allé aux Tranchats, à Samten chos ling (son centre en Dordogne) se recueillir dans la chambre de Pawo Rinpoché, considéré comme « le maître de tous les Lama ». « Lors de son séjour en Dordogne entre 1975 et 1984 bien qu’enseignant peu, il fut une source d’inspiration pour un grand nombre de pratiquants occidentaux »(Ph. Cornu).
[22] Film Le rugissement du Lion. Archives privées et monastère du Bost.
[23] Dashang Kagyu Ling : Au début des années 1970, alors que fleurissent un certain nombre de communautés formées par de jeunes citadins principalement, quelques artistes s’installent à Plaige (71), dans un château en mauvais état, presque abandonné. Ils fondent la communauté appelée Padma Christi. Ils sont désireux d’unir la tradition chrétienne à la philosophie de non-violence bouddhique qu’ils ont découverte en Inde. Rencontrant quelques problèmes d’entente au sein de la communauté, certains d’entre eux, qui avaient rencontré Kalou Rinpoché en Inde, l’invitèrent en 1972 à enseigner d’abord à Paris, puis au château de Plaige. La communauté Padma Christi s’offre alors l’appui d’une tradition religieuse et s’organise. Les propriétaires des lieux, Kriss et Didier Gallot, offrent le château à Kalou Rinpoché en 1974. Petit à petit, le château est rénové puis le premier centre de retraite traditionnelle de trois ans, destiné à la formation du clergé bouddhique en Occident est construit en 1976… ».( Sébastien Jarnot, 2001)
[24] Un article publié dans la revue Panoramiques n° 51 (2001), affirme que les francs-maçons bouddhistes sont nombreux et qu’ils viennent de fonder une fraternelle nommée L’Acacia et le Lotus. Jean-Pierre Schnezler sus-cité, en est le président d’honneur ; il a toujours exposé son appartenance maçonnique et a publié plusieurs ouvrages sur le sujet. Il a également beaucoup œuvré dans le processus de transmission du bouddhisme en France et en Europe (Suisse…). Le but de la fraternelle est de réunir les membres de ces deux spiritualités afin d’étudier et approfondir leurs convergences et d’organiser à cet effet des rencontres, colloques, conférences, éditions, voyages, etc. Le président est J.F. Gantois, journaliste, rédacteur en chef d’Actualité Bouddhiste, le journal trimestriel de l’Union Bouddhiste de France.
[25] Annuaire des Organisations Bouddhiques d’Europe. UBE. 1976 pp. 1 à 5.
[26] Plusieurs témoins évoquent les transmissions reçues dans d’autres pays comme la Belgique.Les enseignements de Lama Guendune par exemple y différaient fortement au niveau de la profondeur.
[27] Bernard Lebeau, Vice-président et secrétaire général de l’UBF, Président éclairé de Dhagpo Kagyu Ling, a joué un rôle important dans ce dossier dont il résume ainsi l’historique dans la revue Tendrel :
« Une telle décision fut d’une importance considérable puisqu’elle a constitué la première reconnaissance du bouddhisme comme une des grandes religions présentes en France. Elle a permis à d’autres centres bouddhistes, dès lors que les « ecclésiastiques » y résident ou y sont formés, de bénéficier des mêmes avantages que les communautés religieuses catholiques. Elle confère enfin au bouddhisme une représentativité auprès des Pouvoirs Publics français, identique à celle des autres grandes religions. »
[28] Groupe formé des moines et des enseignants auxquels a été attribué le titre de lama. Ce mot ne revêt plus, de nos jours, la signification qu’il a dans la tradition du bouddhisme indo-tibétain (A. Berzin, 2000).
[29] Lors de sa première visite officielle en France en 1982, le Dalaï lama fut reçu à l’Hôtel de Ville de Paris par J. Chirac.
[30] Son épouse, Danièle était très investie dans le développement de cette religion, et particulièrement auprès du bouddhisme mahayãna japonais, la Saka Gakkaï, ; depuis le refus de son intégration dans l’UBF (Union Bouddhiste de France, créée en 1986, ayant un quasi monopole sur le bouddhisme) cette mouvance serait étiquetée comme une secte (R. Logier, 2005).
[31] Ce fut, selon l’UBF, Shamar Rinpoché, qui depuis son monastère de Rumteck exerça les fonctions de chef spirituel de l’école Karma Kagyu, après la mort de son oncle le XVIe Karmapa.
[32] Source : bureau des cultes. La congrégation française dépend de l’école bouddhiste Kagyu pa dont le siège est à Rumteck. Aucun nom de Lama dignitaire tibétain n’y est mentionné, d’où durant l’époque houleuse de la recherche du XVIIe Karmapa, une incertitude subtile quant au devenir administratif des centres français.
[33] Selon le bureau des cultes : «  Il n’y a pas d’autorité intermédiaire correspondant aux évêques catholiques entre l’autorité de référence présente à l’étranger et les congrégations elles-mêmes, l’Union Bouddhiste de France ne constituant pas à proprement parler une autorité religieuse à l’égard de ces groupements, mais plutôt un élément de coordination « .
[34] Centres autonomes juridiquement, gérés par des laïcs en relation avec des lamas occidentaux responsables. Ils sont reliés à DKL par une charte. Les KDTL équivalents à ces structures sont reliés à d’autres centres-mères
[35] Les tülkous sont les lamas réincarnés dont les plus célèbres sont le Karmapa et le Dalaï-Lama. Philippe Cornu explique que ce qui est transféré d’une vie à l’autre n’est pas tant un individu qu’un esprit de sagesse : un tülkou est en fait l’émanation d’une énergie de sagesse, afin que celle-ci puisse continuer à œuvrer dans le monde. Quand meurt un grand lama il laisse parfois quelques indications présageant de son incarnation future. Quoi qu’il en soit ce sont en général de proches disciples ou d’autres grands lamas qui procèdent aux recherches de la nouvelle incarnation. Une fois reconnu officiellement après un examen approfondi des candidatures… le jeune tülkou est intronisé mais il ne prendra les fonctions de son prédécesseur qu’après avoir suivi un entraînement intensif et une éducation stricte. Il existe à l’heure actuelle quelques tülkous nés en occident.  De nombreux tülkous sont considérés comme des tülkous politiques, permettant à une même famille de garder l’emprise sur une lignée et sur un territoire. Pourquoi n’y a-t-il pas de reconnaissance féminine ?
[36] T.Y. Dokan se réfère au bouddha Sakyamouni comme un restaurateur de transmissions antérieures datant du temps légendaire des rishis. Il est né dans la ville de Kapilavastu, déjà à l’époque haut lieu de pèlerinage à  Kapila, fondateur du Sankhyam. On pratiquait à l’époque sur les hymnes du Rig Veda, dont les upanishad, textes de plus de 3500 ans. Enfin, notons le yoga , maîtrise de la vie authentique ou union avec la nature essentielle, incluant des doctrines sur la théorie des organes, les mécanismes psychiques, etc.
[37] Le premier considère la loi de causalité karmique et donc l’impact des actes positifs débouchant sur le bonheur et sur une renaissance dans les plus hautes sphères du samsara (monde conditionné du cycle des existences). Le second comprend les tenants des vues erronées : du nihilisme lié à la recherche du pouvoir et du plaisir dans cette vie ou bien de l’éternalisme où un créateur tout puissant décide du sort des êtres.
[38] De nombreuses associations de type ONG, telle l’Ecole dans le Ciel, nées en France, souvent ramifiées en Europe, ont des missions de développement durable au Tibet ou en France même. A l’école du Bodhisattva,  relative à l’éducation s’instille doucement dans les sociétés du Sud et du Nord. Quand aux associations d’accompagnement (Semdrel) ou de visiteurs de prisons, elles oeuvrent avec les structures officielles (hôpital…)
[39] Mind and life est le site internet du groupe de chercheurs de Zurich fondé depuis 1087 sos l’impulsion de F.J. Varela, Mattieu Ricard, Richard Davidson et le Dalaï-Lama.
[40] Le Monde des Religions. Sommes-nous programmés pour croire ? Dossier pp.36-50.Juillet-Août 2004. N°6.
[41] http://tibet.defense.free.fr:docinter/moine.html consulté le 03-09-2003. Article : Le moine au labo par Tenzin Gyamtso 14e Dalaï Lama. New York Times, 26 avril 2003. Dharamsala.
[42] Le monastère du Bost (Puy de Dôme) est installé sur l’ancien Ashram d’Arnaud Desjardin ; Le centre de Montchardon (Isère) est installé dans une ancienne Chartreuse etc.
[43] Lui sont liées des « pratiques de purification » lors de la première lune de l’année ; elles se terminent avec un grand rituel de Mahakãla, protecteur de l’enseignement spirituel (cela offre la purification de toutes les négativités de l’année écoulée) qui se déroule pendant les neuf jours précédant cette date. Il y a également à cette occasion l’offrande du mandala de l’Univers pour que la nouvelle année soit « propice ».
[44] Il est moins célébré sur le centre mais le gouvernement français a accordé aux fonctionnaires bouddhistes un jour férié à cette occasion.
[45] A Dhagpo Kagyu Ling les visites du XVIIe Karmapa sont très médiatisées. Nous constatons une fréquentation moyenne de 1636 adhérents en janvier 2000 (30 adhérents seulement ont été enregistrés hors de cette visite).
[46] Citons les visites plus intimes à l’Ermitage (DDL) futur centre de moyennes retraites pour laïcs.
[47] « L’Ecole dans le Ciel » à but humanitaire, « Semdrel » et « A l’école du Bodhisattva », qui font partie de l’aspect social du développement du bouddhisme transmis à Dhagpo Kagyu Ling.
[48] On comptait en septembre 2003, 990 adhérents aux KTT dont selon les fichiers 36 % fréquentent le centre-mère DKL. En contre partie, en novembre 2003, on totalisait au niveau des personnes ayant pris la carte DKL 21,2 % d’individus issus de KTT (356 individus). En ce qui concerne les Groupe de Dharma – associations autonomes – le centre-mère ne peut qu’extrapoler un chiffre de 600 adeptes dont certains fréquentent aussi DKL. Nous voyons que ces structures ont un rôle non négligeable dans le maillage territorial de la diffusion du bouddhisme de tradition tibétaine en France.
[49] Certains centres ayant refusé de rentrer dans le moule et de céder les clefs ont dû fermer soit suite à de nombreux tracas administratifs (Karma gdön), soit suite à des campagnes de dénigrement bien orchestrées (Nommé par le XVIe Karmapa, Khempo Thoupten dont les enseignements au centre de Valderoure étaient d’une grande profondeur et semble t-il, dérangeaient). D’autres ont cédé et se sont remontés ailleurs (les créateurs du KTT de Nice ont fondé le Groupe de Dharma Kendra).
[50] Par exemple le KTT de Pau qui lors de la controverse des Karmapa s’est scindé en deux.
[51] « Les demandes pour participer aux formations de la célèbre Ecole de la Foi de Coutances augmentent chaque année ». (C. Muller, 1997)
[52] M. Rouvillois a noté dans ses travaux sur le catholicisme (communauté de Saint-Jean), le contrôle pesant des structures laïques sur les écrits des moines catholiques responsables de la formation de ces mystiques-laïcs.
[53] Dans notre lignée d’étude. Chaque lignée possède ses propres monastères tant en France qu’à l’étranger.
[54] La mystique demande beaucoup de rigueur, c’est pour cela qu’elle n’est accessible qu’à un petit nombre. En ce sens, elle est « aristocratique » et non au sens où l’enseignement devrait être destiné à une classe sociale donnée. Il ne peut être vraiment compris et mis en pratique que par ceux qui au départ possèdent les dispositions favorables : les Bien-Nés, les Aryas, l’Homme-Noble du Yi-King ou le Noble-fils du Bardo-Thödol tibétain. A l’époque où ces termes étaient employés, il y eut coïncidence de fait entre les élites sociales et une telle aristocratie spirituelle. Ces « nobles » se recrutaient principalement au sein des classes dominantes, lesquelles bénéficiaient seules de l’ensemble de la culture de leur temps et étaient assez évoluées pour saisir la portée du message. A cette élite sont bien souvent rajoutés des « simples en esprit » naturellement et spontanément dans la Voie (Davy, 1996).
[55] Au Tibet les jeunes moines sont pris en charge dans un monastère. Les plus doués ont un Tsa-wei Lama (lama-racine) qui les dégrossit avec les préliminaires et autres pratiques de base. Après, soit ils partent quelques temps pour mener une vie laïque soit ils restent comme moines ; ensuite il rencontre son Lama, celui qui l’aidera à perfectionner ses connaissances et l’ouvrira à la compréhension profonde. C’est à partir de là qu’il pourra s’affilier à une lignée qu’il aura découverte en lui. “Quand tu es dans ce type de relation avec un Lama, tu n’as pas besoin d’autre chose, il t’explique les pratiques que tu dois  faire, il répond à toutes tes questions, que ce soit sur le corps, la symbolique ou les textes, il te donne ce qui peut aider à ta compréhension, mais à toi de faire le travail“.
[56] 65,8 % des adhérents de DKL fréquentent d’autres centres reliés à d’autres lignées du bouddhisme de tradition tibétaine
[57] Elle présente deux aspects complémentaires : 1-Le couplage continu de l’agent cognitif, consistant en un face à face permanent, fondamentalement médiatisé par des activités sensori-motrices.2- Les activités autonomes de l’agent dont l’identité repose sur des configurations endogènes émergentes d’activités neuronales (ou patterns d’auto-organisation). L’énaction suppose que le couplage sensori-moteur module sans la déterminer l’activité endogène continue et la configure en éléments significatifs du monde dans un flux incessant. La notion d’énaction s’inspire des outils dérivés des systèmes dynamiques contrastant par là fortement avec la tradition cognitiviste, qui trouve son expression naturelle dans les modèles de traitement syntaxique de l’information. Le débat sur les fondements des sciences cognitives opposant la dynamique incarnée et le modèle computationnel est encore très vivace. (F. Varela, 2001).
[58] www// http : WWF.fr. consulté le 29-01-02.
[59] 100 euros par jour, sans hébergement. (source internet)
[60] Docteur ès sciences, entre autre secrétaire général de la conférence des Nations-Unies (sommet de Rio), conseiller à la présidence de la Banque Mondiale et docteur Honoris Causa de l’université de Laval.
[61] La Chine a inscrit plusieurs sites himalayens dans les provinces de Qinghai, du Yunnan et de la région autonome du Tibet à Ramsar (dont des lacs de haute altitude).
[62] www.A.D.B.org site de la banque asiatique de développement.
[63] http://adb.org  site de Asian Development Bank
[64] Le Dalaï-Lama a écrit plusieurs ouvrages au sujet de l’écologie et la santé humaine.
[65] Commission sur la bioéthique : Jacques Martin, professeur de physique, responsable des relations internationales du pôle universitaire Léonard de Vinci à Nanterre et président de l’UBF, Dr Daniel Chevassut, Dr Marie-Ange Pratilli, Pr Cuers.
[66] La santé face aux droits de l’homme, à l’éthique et aux morales. (1996) disponible seulement aux éditions du Conseil de l’Europe, 67075 Strasbourg Cedex. (J.F. Gantois, 2001)
[67] Nous pouvons ici nous référer à la partie historique de notre travail. Les tibétains ont été aidé par des scientifiques (Pugwash) à quitter leur pays. Une partie de ces derniers, avant guerre avait commencé à rédiger une Encyclopédie des sciences unifiée dont les premiers volumes ont été publiés à Chicago. Ce travail ne faisait pas l’un animité chez les chercheurs, notamment avec les dernières découvertes de la physique. Y aurait-il continuation de cette grande œuvre ? C’est un large débat.
[68] Anne Fagot-Largeault, professeur au collège de France et de Pascal Acot, CNRS.
[69] Gérard Godet à fait la donation des Tranchats (Plazac) à Pawo Rinpoché en 1975, a contribué à l’achat de Chanteloube (Plazac), a financé l’achat des maisons de Pema Tulkou. (source Karma dGön).
[70] Les travaux de G. Grunberg et E. Scheisguth, d’après une enquête CEVIPOF-SOFRES de 1978, ont été publiés sous le titre Le virage à gauche des couches moyennes salariées, in G. Lavau,  G. Grunberg, N. Mayer, L’Univers politique des classes moyennes. 1983. Nous avons extrait ces chiffres des travaux de S. Bosc (2001) ; ils semblent  être toujours d’actualité.
[71] Question : Appartenez vous à une autre religion ou à un mouvement philosophique ? Lesquels ?
C’est grâce aux questions ouvertes que nous avons pu affiner nos conclusions, les adeptes ayant fait ici de nombreux commentaires.
[72] Sciences et Avenir. N° 660. Février 2002. Le professeur Pim Van Lommel remet ici en question, la localisation de la conscience.
[73] La double-contrainte est le stade qui précède la schizophrénie (Bateson 1977 et 1980).
[74] (C.Turnbull. Un peuple de fauves. Le Seuil. 1972)
[75] L’homme peut être en harmonie avec ce qui l’entoure même en milieu modeste (…) Ce sentiment d’équilibre, de plénitude est souvent provoqué par la présence cachée de ce que l’on nomme “la divine proportion“ ou le nombre d’or au niveau architectural. L’état particulier que nous ressentons est une forme de résonance de l’œuvre envers notre corps et nos rythmes biologiques. (J.C. Bendrell, 2001, architecte)
[76] La démocratie pour être réelle doit reposer sur la liberté, dont la base est la vérité. Sinon, nous arrivons à des logiques totalitaires où l’ordre s’impose par la force de la loi et non plus par la reconnaissance et l’acceptation d’une autorité. Nous avons travaillé ces notions essentiellement à partir des travaux du philosophe contemporain Karl Jaspers, afin de mieux comprendre ce que pourrait représenter de nos jours, dans l’absolu, un système réellement démocratique, pour lequel l’autorité doit tendre vers zéro.
[77] FOUCAULD Michel. Les mots et les choses: une archéologie des sciences humaines. Paris. Gallimard. 1975. A l’heure où l’histoire occidentale est de plus en plus comprise comme l’histoire de la rationalisation de la société, de son organisation et de sa réglementation progressive, le monde est devenu utopique, tout comme la cité, allant vers toujours plus d’ordre, de contrôle et de discipline.
[78] Ho Ling décrit l’institutionnalisation du bouddhisme en France par l’entremise de l’UBF fondée le 28 juin 1986, lors de la première étape du processus de reconnaissance par les pouvoirs publics. En 1987, l’UBF a obtenu 2 sièges d’administrateurs pour le culte bouddhique au conseil d’administration de la Caisse mutuelle d’assurance maladie des cultes (CAMAC) et d’assurance vieillesse des cultes (CAMAVIC) de la sécurité sociale. En 1990, la direction de l’administration pénitentiaire donnait son agrément à deux aumôniers bouddhistes dans les prisons de France.
[79] Association qui soutient l’école Rigjung Public School au Ladakh, afin de permettre aux enfants “d’acquérir les savoirs de base et de vivre dans le berceau de leur culture”(Le journal dans le Ciel. N° 2 janvier 2003).
[80] Kalou Rinpoché, Bouddhisme vivant. Dans cet ouvrage est cité notamment  Anne Berry, « première disciple française du Maître » dans les années 1970.
[81] Déclaration de la congrégation pour la doctrine de la foi inter-Insigniores. Parue en 1977 durant le pontificat de Paul VI (R.J. Campiche).
[82] Enseignements sur les Cinq Sagesses et les Trois Corps, de Togden Rinpoché, Lama appartenant à la lignée Drikung Kagyü, et détenteur des quatre lignées de transmission. 12-18 Juillet 2003, à Dhagpo Kagyu Ling.
[83] Enseignement à Dhagpo Kagyu Ling du 11 au 17 Août sur « le chemin de la grande Perfection ».
[84]Traveller in Space 1996, Athlone London.
[85] Les tongdenma sont des femmes yogi qui ont suivi depuis l’enfance une formation extrêmement avancée dans la pratique des yogas secrets.
[86] En 1973, Tenzin Palmo a trente ans lorsqu ‘elle part pour une grotte du Lahou, région célèbre pour ses grands méditants. Elle déclarera par la suite, “le principal n’est pas d’avoir des visions, mais d’atteindre une certaine réalisation. C’est lorsqu’une vérité cesse d’être une construction mentale ou intellectuelle pour devenir vraiment réelle. La transformation ne commence à s’opérer que lorsque la méditation descend de la tête au cœur et qu’elle est réellement vécue. Les réalisations sont très dépouillées. Elles ne s’accompagnent ni de lumières, ni de musique. On essaie de voir les choses telles qu’elles sont vraiment. La réalisation est non-conceptuelle. Elle ne provient pas d’un processus de pensée, ni des émotions, à la différence des visions qui appartiennent à ce niveau de fonctionnement psychique. La réalisation est la lumière blanche et transparente qui se trouve au centre du prisme et non les couleurs de l’arc-en-ciel qui l’entourent.”
[87] Propos recueillis dans Bouddhisme Actualités, diffusés sur le site Internet http://www. buddhaline.net consulté le 02-10-2003.
[88] L’initiation et les enseignements qu’elle a donnés étaient très profonds. De plus avant de commencer cette initiation, elle a fait mettre tous les lamas occidentaux hommes derrière le rideau qui cachait le couloir de passage de la rotonde, ne faisant qu’aux lamas occidentaux femmes l’honneur de l’assister. De nombreuses personnes « ont approuvé »… nous laisserons au lecteur, le soin d’apprécier.
[89]Yeshé Tsogyal, souveraine du Tibet“ par La Vénérable Khandro Rimpoché les 17/10/2004 et 24/10/2004 (Site de l’UBF)
[90] L’amour-compassion est à distinguer selon trois stades. Dans le premier stade, l’amour-compassion est en fonction des êtres qui s’identifient avec la pitié ordinaire soucieuse d’autrui. A ce stade du cheminement, elle structure l’agir tout autant que l’imaginaire. Au second degré, l’amour-compassion est compris en fonction de la Loi c’est-à-dire de la production conditionnée. S’il ne préservait pas ce jaillissement d’amour-compassion, nul doute que le bodhisattva dans son cheminement pourrait sombrer dans le nihilisme. Le bodhisattva doit finalement s’exercer à la « Grande-compassion » (mahakaruna) qui transcende les deux premiers stades dans cette dynamique de la perception de la vacuité. Cette compassion « difficile à entendre, difficile à concevoir » est sans objet, car elle n’est même plus un affect réactif à la douleur, une réaction à la réalité ou à l’irréalité des choses. Elle ne relève ni de l’émotion ni de la raison. La dissociation entre émotion et raison qui a fondé des pans entiers de nos philosophies morales occidentales demeure là impensable. La compréhension de la compassion bouddhique est indissociable des méditations qui consistent à prendre sur soi la souffrance des autres « pour mieux la dissoudre et non pour vibrer avec elle ». Varela traduit karuna par empathie et non par compassion.
[91] Qualités ou vertus transcendantes qui sont le don (que l’on pourrait assimiler à la générosité), la patience, le courage, la diligence, la discipline et la sagesse.
[92] Lama Khédroup est américaine. Après avoir été institutrice, puis mère et grand-mère, elle a connu le bouddhisme en 1987 avec Trungpa Rinpoché. Elle a fait 2 retraites avec Lama Guendune, et a créé le groupe de rencontre Amala (journal A l’école du bodhisattva n° 5)
[93] Habitante -de vieille souche- de la Teste de Buch, sur le Bassin d’Arcachon, où des digues dites urbanisées doivent remplacer les chemins des douaniers.
[94] La double-contrainte ou double-lien est une notion de base de la psychiatrie moderne. Mise au point par l’anthropologue Grégory Bateson, elle a été développée par l’école psychiatrique californienne de Palo-Alto, et elle éclaire d’un jour extraordinaire nos affaires de conservation de la nature. Bien qu’elle n’ait pas été faîte pour cela. (P. Watzlawick, J. Weakland. Une logique de la communication).
[95] En novembre 1997, s’est tenu à Montréal le Forum francophone international Planèt’ERE de l’éducation relative à l’environnement, dans une perspective de développement durable. Planèt’ERE se situe dans la même orientation que les rencontres précédentes parrainées par l’UNESCO. Cependant à cette occasion, une nouvelle notion a été mise en avant : celle d’avenir viable. Cette dernière apparaît selon la déclaration de Montréal, comme une redéfinition de la notion de développement durable, elle-même associée à la notion de viabilité.
Eduquer pour un avenir viable : une vision transdisciplinaire pour l’action concertée. Conférence internationale Environnement et société : éducation et sensibilisation du public à la viabilité (UNESCO, EPD. 8-12 décembre 1997. Thessalonique, Grèce).
[96] Leibniz était alchimiste, savant, politicien… et en 1667 secrétaire de la confrérie Rose-Croix. Il avait également travaillé avec Colbert sur de nombreux projets de développement du commerce notamment vers les Indes. (former des « compagnies de marchands » dans le monde entier). Dès le 17ème siècle, avait adressé entre autre à louis XIV, à Pierre Le Grand, aux jésuites son projet.
[97] Dans la conception ancienne et réelle de ce qu’est un philosophe, et non dans l’acception moderne du mot.
[98] Par ses racines métaphysiques la doctrine leibnizienne échappe à toute identification avec les religions telles qu’elles sont exposées. Si elle n’est saisie que par son extériorité, il y a selon J. Baruzi rupture de l’union du « bien général » et de la « gloire de Dieu » « or tout dépend de cette union et selon qu’elle est ou non admise on se trouve en face de la plus complexe métaphysique ou du plus ordinaire utilitarisme ».